Accueillir l'enfant que j'ai été
Publié : 15 févr. 2023 02:17
Enfant, je ne me souviens pas avoir eu souvent de ressenti dysphorique de genre auprès de ma famille car j'avais la chance d'avoir un père qui avait fait la démarche de se déconstruire et donc une éducation pour ainsi dire non genrée dans les années 90. Au sein du foyer, mon père faisait les tâches ménagères tandis que ma mère incarnait l'autorité et la sociabilité. Malgré une éducation stricte par ailleurs, je n'étais pas réprimandé.e pour mon attrait pour les jeux dits féminins, ma sensibilité ou mon goût pour le déguisement féminin et mes parents trouvaient normal que je n'ai que des amies filles. Ils ne m'ont jamais demandé de me masculiniser, au contraire j'avais l'impression que mes traits de personnalité doux et sensible leur plaisaient et qu'ils réprouvaient bon nombre de traits de personnalité dits masculins. Mes premiers ressentis dysphoriques eurent donc lieu au contact d'autres adultes et enfants, généralement de genre masculin. Ne comprenant pas et ne cherchant pas à comprendre le référentiel masculin, je me contentais alors juste d'éviter la compagnie des garçons.
La première fois que j'ai abordé le sujet de l'homosexualité avec mes parents, j'avais une douzaine d'années, ce n'était pas directement un CO, juste une diatribe d'enfant sur l'injustice de la société et du conformisme, mais ma mère a pris les devants d'elle-même et m'a dit sans détour que plus tard je serai libre de faire ce qu'il me plairait mais qu'elle ne voulait pas être au courant ni que je lui présente un éventuel partenaire masculin. A cet instant, elle m'a fait ressentir qu'elle percevait chez moi quelque chose que je ne devinais pas encore. Il n'en restait pas moins qu'une partie de mon identité lui était à ce moment-là étrangère au point de n'en vouloir rien connaître et cette annonce, que j'ai vécue comme définitive, a marqué le début d'une prise de conscience chez moi. Je me suis rendu compte au fil des années qui ont suivies que, malgré un attachement filial, ma mère avait de moins en moins d'affinité avec la personne que j'étais en train de devenir. Et cela a été le point de départ d'un cheminement qui m'a conduit à progressivement abandonner l'espoir de lui donner satisfaction pour commencer à penser à mon propre épanouissement. En famille comme en amour, si l'affection qu'un proche vous porte est conditionné à ce que vous vous forciez à jouer un rôle qui ne vous correspond pas, il est important de garder en tête que ce n'est pas vous qui avez un problème et que vous êtes, quoi qu'il en soit, digne d'être aimé pour qui vous êtes.
A l'adolescence, lentement exclu.e de la sororité de celles que je considérais comme mes paires, j'ai commencé à subir mes premières confrontations forcées avec le territoire inconnu du monde masculin. Pour eux j'étais le pédé, celui dont ils devaient impérativement se différencier à renfort de gestes et de paroles. Mon sentiment de sécurité a été durablement altéré. A chaque instant pouvait survenir humiliation physique ou psychologique et ma seule réponse était la honte, l’auto-détestation puis graduellement les troubles alimentaires, la scarification, les tentatives de suicide, les hospitalisations. Mes larmes ont fini par se tarir et se muer en cris silencieux à mesure que j'intériorisais progressivement l'homophobie, le rejet, le mépris. L'impuissance de ceux qui n'approuvaient pas ces mauvais traitements mais n'osaient rien dire me confortait dans l'acceptation, d'autant que parallèlement et malgré un comportement d'élève modèle, ma mère se saisissait de tout prétexte pour me reprocher de ne pas être l'enfant qu'elle espérait. Même s'il était d'un tout autre ordre, le harcèlement se prolongeait dans ma sphère familiale. S'il n'est pas parvenu à m'en protéger, mon père m'a tout de même soutenu.e de son mieux en m'écoutant quand j'en avais besoin et en me permettant de me sentir aimé.e inconditionnellement pour qui j'étais. Je lui dois beaucoup. Néanmoins, une profonde dépression m'a accompagné.e jusqu'à l'âge adulte.
J'ignorais encore à l'époque ce qu'était la transidentité mais la dysphorie de genre était partout comme un écho se réverbérant sur les parois de mon désespoir. La mue de ma voix me faisait horreur et j'avais cessé de chanter. Fermant parfois les yeux je trouvais du réconfort dans le fantasme de ma féminité intérieure. Le mouvement du drapé d'une robe, le son d'un talon sur le sol, un geste gracieux, un peu de douceur le temps d'un clignement de paupière. Cette féminité qu'on me reprochait par ailleurs restait la seule once de joie dans ma vie, la flamme qu'ils n'avaient pas réussi à éteindre. J'adoptais même quelques temps une apparence androgyne, du maquillage, les cheveux longs, expérimentant l'euphorie de genre, surtout lorsque des inconnus me genraient au féminin (de bonne foi ou bien en croyant m'insulter). Je ne m'autorisais pas à envisager une transition ou une vie meilleure et me contentais de fuir, de m'évader pour me réfugier dans mes idées morbides, dans l'alcool, dans la fiction... J'ai découvert l'écriture et le jeu de rôle qui m'ont sauvé.e en me permettant de vivre une vie parallèle où je pouvais enfin incarner une identité féminine des années durant.
Lorsque je regarde en arrière en rédigeant ces lignes, j'ai bien conscience de l'influence que le trauma a eu sur ma construction. Positive car, contrairement à d'autres, j'ai développé la capacité de repérer avec acuité les privilèges alloués à ma carnation claire et à mon genre assigné, faisant de moi quelqu'un de suffisamment conscient pour ne pas devenir une partie du problème. Négative aussi car survivre au harcèlement ne m'a pas rendu plus fort.e mais incontestablement apeuré.e, fragile, durablement misandre, moins apte à me montrer vulnérable dans l'intimité. Cela dit, depuis peu je parviens enfin à me montrer bienveillant.e avec l'enfant que j'étais et à lui demander pardon pour le crédit que j'ai apporté aux mauvais traitements qui m'ont été infligés. Aujourd'hui je sais que la honte est de leur côté pas du mien. Il m'incombe désormais d'accueillir cet enfant blessé, garçon homosexuel et fille transgenre, toujours prostré.e au fond de moi, et de lui montrer que la vie ne se résume pas à la reviviscence d'une expérience fondatrice mais que de belles choses nous attendent maintenant que j'ai fait le pari de l'authenticité et de l'épanouissement personnel. J'ai finalement retrouvé le chemin de la lumière !
La première fois que j'ai abordé le sujet de l'homosexualité avec mes parents, j'avais une douzaine d'années, ce n'était pas directement un CO, juste une diatribe d'enfant sur l'injustice de la société et du conformisme, mais ma mère a pris les devants d'elle-même et m'a dit sans détour que plus tard je serai libre de faire ce qu'il me plairait mais qu'elle ne voulait pas être au courant ni que je lui présente un éventuel partenaire masculin. A cet instant, elle m'a fait ressentir qu'elle percevait chez moi quelque chose que je ne devinais pas encore. Il n'en restait pas moins qu'une partie de mon identité lui était à ce moment-là étrangère au point de n'en vouloir rien connaître et cette annonce, que j'ai vécue comme définitive, a marqué le début d'une prise de conscience chez moi. Je me suis rendu compte au fil des années qui ont suivies que, malgré un attachement filial, ma mère avait de moins en moins d'affinité avec la personne que j'étais en train de devenir. Et cela a été le point de départ d'un cheminement qui m'a conduit à progressivement abandonner l'espoir de lui donner satisfaction pour commencer à penser à mon propre épanouissement. En famille comme en amour, si l'affection qu'un proche vous porte est conditionné à ce que vous vous forciez à jouer un rôle qui ne vous correspond pas, il est important de garder en tête que ce n'est pas vous qui avez un problème et que vous êtes, quoi qu'il en soit, digne d'être aimé pour qui vous êtes.
A l'adolescence, lentement exclu.e de la sororité de celles que je considérais comme mes paires, j'ai commencé à subir mes premières confrontations forcées avec le territoire inconnu du monde masculin. Pour eux j'étais le pédé, celui dont ils devaient impérativement se différencier à renfort de gestes et de paroles. Mon sentiment de sécurité a été durablement altéré. A chaque instant pouvait survenir humiliation physique ou psychologique et ma seule réponse était la honte, l’auto-détestation puis graduellement les troubles alimentaires, la scarification, les tentatives de suicide, les hospitalisations. Mes larmes ont fini par se tarir et se muer en cris silencieux à mesure que j'intériorisais progressivement l'homophobie, le rejet, le mépris. L'impuissance de ceux qui n'approuvaient pas ces mauvais traitements mais n'osaient rien dire me confortait dans l'acceptation, d'autant que parallèlement et malgré un comportement d'élève modèle, ma mère se saisissait de tout prétexte pour me reprocher de ne pas être l'enfant qu'elle espérait. Même s'il était d'un tout autre ordre, le harcèlement se prolongeait dans ma sphère familiale. S'il n'est pas parvenu à m'en protéger, mon père m'a tout de même soutenu.e de son mieux en m'écoutant quand j'en avais besoin et en me permettant de me sentir aimé.e inconditionnellement pour qui j'étais. Je lui dois beaucoup. Néanmoins, une profonde dépression m'a accompagné.e jusqu'à l'âge adulte.
J'ignorais encore à l'époque ce qu'était la transidentité mais la dysphorie de genre était partout comme un écho se réverbérant sur les parois de mon désespoir. La mue de ma voix me faisait horreur et j'avais cessé de chanter. Fermant parfois les yeux je trouvais du réconfort dans le fantasme de ma féminité intérieure. Le mouvement du drapé d'une robe, le son d'un talon sur le sol, un geste gracieux, un peu de douceur le temps d'un clignement de paupière. Cette féminité qu'on me reprochait par ailleurs restait la seule once de joie dans ma vie, la flamme qu'ils n'avaient pas réussi à éteindre. J'adoptais même quelques temps une apparence androgyne, du maquillage, les cheveux longs, expérimentant l'euphorie de genre, surtout lorsque des inconnus me genraient au féminin (de bonne foi ou bien en croyant m'insulter). Je ne m'autorisais pas à envisager une transition ou une vie meilleure et me contentais de fuir, de m'évader pour me réfugier dans mes idées morbides, dans l'alcool, dans la fiction... J'ai découvert l'écriture et le jeu de rôle qui m'ont sauvé.e en me permettant de vivre une vie parallèle où je pouvais enfin incarner une identité féminine des années durant.
Lorsque je regarde en arrière en rédigeant ces lignes, j'ai bien conscience de l'influence que le trauma a eu sur ma construction. Positive car, contrairement à d'autres, j'ai développé la capacité de repérer avec acuité les privilèges alloués à ma carnation claire et à mon genre assigné, faisant de moi quelqu'un de suffisamment conscient pour ne pas devenir une partie du problème. Négative aussi car survivre au harcèlement ne m'a pas rendu plus fort.e mais incontestablement apeuré.e, fragile, durablement misandre, moins apte à me montrer vulnérable dans l'intimité. Cela dit, depuis peu je parviens enfin à me montrer bienveillant.e avec l'enfant que j'étais et à lui demander pardon pour le crédit que j'ai apporté aux mauvais traitements qui m'ont été infligés. Aujourd'hui je sais que la honte est de leur côté pas du mien. Il m'incombe désormais d'accueillir cet enfant blessé, garçon homosexuel et fille transgenre, toujours prostré.e au fond de moi, et de lui montrer que la vie ne se résume pas à la reviviscence d'une expérience fondatrice mais que de belles choses nous attendent maintenant que j'ai fait le pari de l'authenticité et de l'épanouissement personnel. J'ai finalement retrouvé le chemin de la lumière !