Accueillir l'enfant que j'ai été

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moana
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Accueillir l'enfant que j'ai été

Message par moana »

Enfant, je ne me souviens pas avoir eu souvent de ressenti dysphorique de genre auprès de ma famille car j'avais la chance d'avoir un père qui avait fait la démarche de se déconstruire et donc une éducation pour ainsi dire non genrée dans les années 90. Au sein du foyer, mon père faisait les tâches ménagères tandis que ma mère incarnait l'autorité et la sociabilité. Malgré une éducation stricte par ailleurs, je n'étais pas réprimandé.e pour mon attrait pour les jeux dits féminins, ma sensibilité ou mon goût pour le déguisement féminin et mes parents trouvaient normal que je n'ai que des amies filles. Ils ne m'ont jamais demandé de me masculiniser, au contraire j'avais l'impression que mes traits de personnalité doux et sensible leur plaisaient et qu'ils réprouvaient bon nombre de traits de personnalité dits masculins. Mes premiers ressentis dysphoriques eurent donc lieu au contact d'autres adultes et enfants, généralement de genre masculin. Ne comprenant pas et ne cherchant pas à comprendre le référentiel masculin, je me contentais alors juste d'éviter la compagnie des garçons.

La première fois que j'ai abordé le sujet de l'homosexualité avec mes parents, j'avais une douzaine d'années, ce n'était pas directement un CO, juste une diatribe d'enfant sur l'injustice de la société et du conformisme, mais ma mère a pris les devants d'elle-même et m'a dit sans détour que plus tard je serai libre de faire ce qu'il me plairait mais qu'elle ne voulait pas être au courant ni que je lui présente un éventuel partenaire masculin. A cet instant, elle m'a fait ressentir qu'elle percevait chez moi quelque chose que je ne devinais pas encore. Il n'en restait pas moins qu'une partie de mon identité lui était à ce moment-là étrangère au point de n'en vouloir rien connaître et cette annonce, que j'ai vécue comme définitive, a marqué le début d'une prise de conscience chez moi. Je me suis rendu compte au fil des années qui ont suivies que, malgré un attachement filial, ma mère avait de moins en moins d'affinité avec la personne que j'étais en train de devenir. Et cela a été le point de départ d'un cheminement qui m'a conduit à progressivement abandonner l'espoir de lui donner satisfaction pour commencer à penser à mon propre épanouissement. En famille comme en amour, si l'affection qu'un proche vous porte est conditionné à ce que vous vous forciez à jouer un rôle qui ne vous correspond pas, il est important de garder en tête que ce n'est pas vous qui avez un problème et que vous êtes, quoi qu'il en soit, digne d'être aimé pour qui vous êtes.

A l'adolescence, lentement exclu.e de la sororité de celles que je considérais comme mes paires, j'ai commencé à subir mes premières confrontations forcées avec le territoire inconnu du monde masculin. Pour eux j'étais le pédé, celui dont ils devaient impérativement se différencier à renfort de gestes et de paroles. Mon sentiment de sécurité a été durablement altéré. A chaque instant pouvait survenir humiliation physique ou psychologique et ma seule réponse était la honte, l’auto-détestation puis graduellement les troubles alimentaires, la scarification, les tentatives de suicide, les hospitalisations. Mes larmes ont fini par se tarir et se muer en cris silencieux à mesure que j'intériorisais progressivement l'homophobie, le rejet, le mépris. L'impuissance de ceux qui n'approuvaient pas ces mauvais traitements mais n'osaient rien dire me confortait dans l'acceptation, d'autant que parallèlement et malgré un comportement d'élève modèle, ma mère se saisissait de tout prétexte pour me reprocher de ne pas être l'enfant qu'elle espérait. Même s'il était d'un tout autre ordre, le harcèlement se prolongeait dans ma sphère familiale. S'il n'est pas parvenu à m'en protéger, mon père m'a tout de même soutenu.e de son mieux en m'écoutant quand j'en avais besoin et en me permettant de me sentir aimé.e inconditionnellement pour qui j'étais. Je lui dois beaucoup. Néanmoins, une profonde dépression m'a accompagné.e jusqu'à l'âge adulte.

J'ignorais encore à l'époque ce qu'était la transidentité mais la dysphorie de genre était partout comme un écho se réverbérant sur les parois de mon désespoir. La mue de ma voix me faisait horreur et j'avais cessé de chanter. Fermant parfois les yeux je trouvais du réconfort dans le fantasme de ma féminité intérieure. Le mouvement du drapé d'une robe, le son d'un talon sur le sol, un geste gracieux, un peu de douceur le temps d'un clignement de paupière. Cette féminité qu'on me reprochait par ailleurs restait la seule once de joie dans ma vie, la flamme qu'ils n'avaient pas réussi à éteindre. J'adoptais même quelques temps une apparence androgyne, du maquillage, les cheveux longs, expérimentant l'euphorie de genre, surtout lorsque des inconnus me genraient au féminin (de bonne foi ou bien en croyant m'insulter). Je ne m'autorisais pas à envisager une transition ou une vie meilleure et me contentais de fuir, de m'évader pour me réfugier dans mes idées morbides, dans l'alcool, dans la fiction... J'ai découvert l'écriture et le jeu de rôle qui m'ont sauvé.e en me permettant de vivre une vie parallèle où je pouvais enfin incarner une identité féminine des années durant.

Lorsque je regarde en arrière en rédigeant ces lignes, j'ai bien conscience de l'influence que le trauma a eu sur ma construction. Positive car, contrairement à d'autres, j'ai développé la capacité de repérer avec acuité les privilèges alloués à ma carnation claire et à mon genre assigné, faisant de moi quelqu'un de suffisamment conscient pour ne pas devenir une partie du problème. Négative aussi car survivre au harcèlement ne m'a pas rendu plus fort.e mais incontestablement apeuré.e, fragile, durablement misandre, moins apte à me montrer vulnérable dans l'intimité. Cela dit, depuis peu je parviens enfin à me montrer bienveillant.e avec l'enfant que j'étais et à lui demander pardon pour le crédit que j'ai apporté aux mauvais traitements qui m'ont été infligés. Aujourd'hui je sais que la honte est de leur côté pas du mien. Il m'incombe désormais d'accueillir cet enfant blessé, garçon homosexuel et fille transgenre, toujours prostré.e au fond de moi, et de lui montrer que la vie ne se résume pas à la reviviscence d'une expérience fondatrice mais que de belles choses nous attendent maintenant que j'ai fait le pari de l'authenticité et de l'épanouissement personnel. J'ai finalement retrouvé le chemin de la lumière !

moana
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Re: Accueillir l'enfant que j'ai été

Message par moana »

Parallèlement à mon témoignage, j'aimerais adresser ma sympathie aux parents qui me lisent et qui ont des craintes justifiées par rapport au harcèlement scolaire de leur enfant ou se sentent désemparés.

Dans mon expérience, même un enfant qui se confierait en temps normal à ses parents a plus de difficultés à le faire sur ce sujet du fait de la honte et du déni qui s'y rapporte. Lorsqu'iel osera éventuellement aborder le sujet, iel aura tendance à minimiser ce qu'iel subit et vous incitera à faire de même. C'est à mon avis un piège à éviter. Même si cela paraît contre-intuitif face à un enfant déjà en détresse et qu'on veut rassurer, mon avis personnel est qu'il vaut mieux se retenir d'édulcorer ou de minimiser la situation mais plutôt au contraire souligner sa gravité et le fait qu'il n'est pas acceptable que des personnes se comportent ainsi avec iel à n'importe quel âge. C'est à mon avis un moyen de l'aider à lutter contre l'intériorisation du dégoût de soi. Si par moment, le fait de vous insurger contre le harcèlement scolaire subi par votre enfant vous semble ne pas avoir d'effet concret et ne pas résoudre le problème, à mon avis l'essentiel est de montrer à votre enfant que cela vous révolte et que vous ne validez ni la violence qui lui est faite, ni l'injonction à se conformer qui lui est sous-jacente. S'avouer impuissant face à la souffrance de son enfant doit être terriblement difficile mais la capacité à protéger ceux qu'on aime à forcément ses limites et parfois la seule chose qui compte c'est d'être là aux côté de votre enfant en lui disant que vous l'aimez, qu'iel est parfait tel qu'iel est à l'intérieur, que vous êtes désolé.e qu'iel subisse cette violence, que sa santé mentale sera toujours plus importante pour vous que le reste (le recours à un professionnel peut d'ailleurs permettre à votre enfant d'avoir un espace d'expression à soi sans craindre de vous blesser en décrivant ce qu'iel subit) et que vous voulez bien chercher avec iel comment l'aider à traverser cette période si pénible en trouvant peut-être comment aménager des moments de répits plus heureux, en attendant qu'iel ait la possibilité de sortir de ce contexte de harcèlement

Parallèlement, c'est peut-être naïf de ma part, mais je pense qu'il peut être intéressant de s'éduquer avec son enfant, s'iel le souhaite bien entendu (donc s'iel n'a pas encore fait sien le discours de ses oppresseurs), sur l'histoire des luttes pour les droits LGBTQIA+. Connaître cette histoire peut l'aider à comprendre que ses souffrances s'inscrivent dans un ensemble plus large de discriminations et dans un long combat pour l'égalité. Ça n’allégera pas la charge mentale qu'iel subit quotidiennement mais ça pourrait l'amener à ne pas faire sien l'avis de ces oppresseurs en se constituant un référentiel qui lui est propre auquel iel pourra se raccrocher pour commencer à déconstruire le phénomène d'intériorisation dont j'ai parlé. Si votre enfant est en colère contre ce qu'il subit c'est parfaitement normal et sain. Je ne pense pas qu'il faille se résigner à être traité ainsi. Il vaut mieux que cette colère et ce sentiment d'injustice ait un espace où s'exprimer afin qu'elle ne se retourne pas contre soi.

Dernier point, depuis l'époque de mon adolescence, les réseaux sociaux sont apparus et ce nouveau paramètre a évidemment un impact non négligeable sur la vie de votre enfant. Il peut parfois l'extraire de son sentiment d'isolement en lui permettant de trouver soutien et inspiration dans des communautés partageant ses centres d'intérêt. En tant que parent, même lorsque le jardin secret de votre enfant ne vous laisse pas beaucoup d'espace pour partager ce qu'il aime, il reste possible, à mon avis, de lui permettre de consacrer du temps et de l'énergie à une forme de sociabilité virtuelle où il est valorisé par les autres. Gardez à l'esprit que ce temps que consacre votre enfant à ses relations virtuelles n'est pas du temps perdu s'iel tente de contrebalancer l'expérience sociale négative quotidienne qui est la sienne. Tenter de l'éloigner du virtuel demande peut-être préalablement d'avoir quelque chose à lui proposer qui puisse occuper la même fonction de revalorisation dont iel a besoin. Et puis bien sûr il y a la face sombre de l'usage qu'on peut faire de cette technologie : le harcèlement peut y trouver un canal supplémentaire d’expansion, poussant encore davantage l'enfant dans ses retranchements. J'aurais des difficultés à être pertinent sur cette question mais je pense, là encore, qu'il est préférable de ne pas minimiser la manière dont les harceleurs se comportent, de réfléchir avec votre enfant à la manière de se protéger de cette toxicité (choix du réseau, blacklisting des harcelleurs...). La limitation du temps d'écran est certes nécessaire et structurante mais il faut avoir à l'esprit qu'à la différence de ses paires un enfant stigmatisé peut parfois avoir besoin de la sphère virtuelle pour explorer une sociabilité positive et valorisante.

Il n'y a pas de solution miracle pour tirer son enfant de ce mauvais pas. Être parent est l'exercice le plus difficile et rien ne peut préparer à devoir soutenir un enfant harcelé par ses paires mais si vous lisez ces lignes, que vous êtes parvenu jusqu'à ce forum, c'est que vous êtes déjà un parent extraordinaire cherchant des solutions à travers les expériences d'autres familles et pour cela je ne peux que vous rendre hommage et vous souhaiter de tout mon cœur bon courage car pour vous aussi la lumière reviendra au détour du sourire de votre enfant.

Titus
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Re: Accueillir l'enfant que j'ai été

Message par Titus »

Bonjour Moana

Ton témoignage est très touchant et peut aider d'autres personnes.
J'espère que tu as enfin trouver la sérénité avec ton identité.

heideweg
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Re: Accueillir l'enfant que j'ai été

Message par heideweg »

Bonjour Moana ….

Merci beaucoup pour vos témoignages…. J’ai été impressionné…. Très impressionné par votre parcours ( premier message)
La description que vous faites, la précision des souvenirs, des émotions …. Une introspection détaillée sur des faits qui ont sans doute quelques années….… oui, ça m’a interpelé 😁…on voit ainsi à quel point nos histoires ont un impact sur le cours de nos vies ….
J’en profite aussi pour vous souhaiter plein de bonnes choses pour la suite….
David

moana
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Re: Accueillir l'enfant que j'ai été

Message par moana »

Bonsoir !
Merci David et Titus pour vos retours.
Je pense être resté.e de trop longues années à me haïr. Quel temps perdu...
Sans pouvoir encore parler de sérénité, je dirais que pour la première fois, je pense désormais qu'il est possible pour moi d'apprendre à m'aimer et je m'emploie à y parvenir, un petit pas à la fois.
Je vous envoie de bonnes énergies !

heideweg
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Re: Accueillir l'enfant que j'ai été

Message par heideweg »

Bonsoir Moana

…. Alors, tout d’abord, merci pour les bonnes énergies… je les accueille avec grand plaisir…. Surtout que je suis encore au travail… donc, j’en ai besoin 😁

… votre message me fait plaisir et je vous souhaite du fond du cœur de trouver l’amour, ce sera le petit plus qui vous apportera l’apaisement dont on a tellement besoin….
Je change un peu de sujet mais….. j’ai regardé un reportage cet après-midi sur Marie-pierre Pruvot …. Un parcours de vie absolument extraordinaire…. J’ai adoré…
À bientôt

David

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