Bonjour Pierre,
De mon côté, j'ai vécu la même chose, en ayant de l'avance (en âge...) sur toi, puisque j'ai 51 ans.
Lorsque je me suis marié, et avant le mariage avec ma femme, je lui ai dit que j'avais cette ambivalence en moi. Elle l'a compris, ne m'a pas dit comme ce que je peux lire ici ou là "qu'elle le savait", non, mais passé la surprise évidente, elle a témoigné sur ce sujet d'une immense compréhension et empathie, et nous avons bcp échangé sur le fait que c'était aussi en moi, et qu'il fallait le prendre en compte.
Je pense, qu'en tant que bi(s), nous ne pouvons être attirés que par des femmes très douces, compréhensives, extrêmement féminines dans le sens de presque "maternelles" et bienveillantes. C'est donc un premier avantage.
J'ai toujours fui les "wonder woman", les femmes qui étaient dures, exigeantes, masculines en fait, et qui avaient semble-t-il "des comptes à régler avec les mecs" en les enviant d'une part mais en voulant du coup devenir comme eux, plus fortes qu'eux même, comme on en voit bcp parmi les cadres dirigeantes aujourd'hui. Enfin, bref, la mienne n'est pas du tout comme cela, elle est aussi très attirante car très belle.
Mais ce qui devait arriver est arrivé. J'ai craqué après plusieurs années de mariage et plusieurs enfants, et l'ai trompée avec un mec. J'en ai été
détruit. Détruit de l'avoir trompée, détruit de ne pas avoir su ou pu l'aimer suffisamment, elle et les enfants.
Au bout de quelques semaines d'errance terrible et de quasi dépression, elle m'a forcé à avouer. Je n'en pouvais plus de le cacher, et quelque part cela a été une libération. Et ce d' autant plus que l'autre homme n'arrêtait pas de me solliciter. C'était un enfer, que je ne voudrais revivre à aucun prix. Je lui manquais, il voulait me revoir à tout prix, etc.
Elle ne s'est pas révoltée comme elle aurait pu le faire évidemment, ne s'est pas drapée de mépris vis à vis de moi, de toute la hauteur de sa tour d'ivoire de femme offensée par un moins-que-rien attiré par les mecs et qu'elle aurait malencontreusement épousé. Ce fût tout l'inverse. Elle m'a répondu: "tout cela est de ma faute. Tu m'en avais parlé avant notre mariage, avec les enfants je t'ai délaissé. Je suis désolée."...
Ce fût pour moi incroyable, un moment d'intensité émotionnelle inouïe, et je fus transporté de reconnaissance envers cette femme, ma femme, qui non seulement ne m'en voulait pas, mais disait qu'elle en était la cause!! oui c'est aussi ce que je pensais quelque part, mais j'avais honte d'oser même le penser, et non, je n'aurais jamais osé ni le dire ni même imaginer qu'elle puisse me le dire et apparemment le penser aussi.
Je lui ai alors demandé pardon, une demande de pardon d'une immense sincérité, mais lui ai aussi ré-exprimé combien j'étais faible de ce côté là, et que lorsque je ressentais un manque sexuel aigu, je n'avais alors jamais envie de la tromper avec une autre femme, mais mes tendances ambivalentes prenaient alors le dessus sauvagement et je voulais un mec ici, là, maintenant. Sentir sa présence masculine, sa chaleur, sa compréhension, me réfugier contre lui.
Depuis, les années ont passé. J'ai toujours eu envie de trouver un autre comme moi, marié et ayant les mêmes recherches, penchants, et difficultés aussi, mais cela ne s'est jamais présenté. Les réseaux sociaux gay ou bi&gay, oui je les fréquente -et n'en suis pas très fier- par période -courtes en règle générale- et quand j'ai une baisse de moral ou suis seul trop longtemps pour cause professionnelle ou autre, mais je ne trouve jamais ce quelqu'un "d'identique", dans la même situation: "Hors milieu" comme on dit, oui, mais en même temps, ne voulant pas détruire une famille qu'il aime et qui l'aime.
En revanche, on trouve beaucoup d'hommes, mariés ou pas, cherchant des aventures, d'un soir, d'un moment, en se cachant, et si possible avec bcp plus jeune que soi-même... Je ne veux pas de cela, car, pour moi, ce n'est qu'une fuite en avant, au risque de devenir une addiction sexuelle, un besoin dévorant, emportant tout sur son passage et faisant souffrir tant de personnes en même temps, et en ne construisant rien d'autre en fait. Ces relations je les trouve déshumanisantes et aussi dangereuses. Même s'il y a un certain "respect" dans les échanges écrits ou des demandes que je peux ainsi lire, il n'y a pas ou trop peu d'affection et surtout pas de besoin "d'attachement" de long terme et d'attention à l'autre, à ce qu'il est en tant qu'homme tout entier. Pas uniquement dans son physique je veux dire. Ces demandes, ces relations, ces vies qui ne sont qu'une succession de rencontres éphémères, je les trouve tristes fondamentalement.
Bien sûr que je ne dirai pas que tout est merveilleux dans ma vie aujourd'hui, mais existe-t-il quelqu'un qui puisse dire que sa vie lui permet d'atteindre la perfection du bonheur? Je pense que la vie de couple, quel qu'il soit d'ailleurs, avant d'être le constat d'un coup de foudre permanent, est surtout le résultat et la conséquence d'une volonté de (se) donner et d'une "foi en l'amour". C'est en quelque sorte, le résultat d'un "vouloir aimer", et non pas simplement d'un "j'aime là, dans l'instant". On ne peut aimer et se donner à l'autre tous les jours, tous les matins et tous les soirs, durant des années et des dizaines d'années. Cela ne peut pas durer. Mais on peut "vouloir aimer" et se donner pour rendre l'autre heureux, pour ce qu'il ou elle est, ce que nous avons construit et surmonté ensemble.
Nos penchants à nous, les bi(s), nous servent là aussi. Nous sommes bcp plus dans l'empathie, l'accueil de l'autre et sa compréhension. Nous ne sommes ni "bourrins", ni misogynes. Nous ne sommes pas du genre "retour du guerrier, pantoufles et match télé avec pinte de bière". Rien ne nous arrête dans l'aide à la maison, rien n'est perçu comme étant "dégradant" pour nous, ménage, cuisine, travail des enfants. Au moins en théorie
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Quand je lis tout ce que Pierre a traversé, toutes les réflexions qu'il a pu avoir et continue à avoir, j'ai l'impression d'avoir suivi le même chemin. Et je ne dirai pas du tout qu'il faut faire taire sa raison qui nous encombre et "nous fait tourner en rond", comme j'ai pu le lire. C'est même d'après moi tout le contraire. Il faut à tout prix essayer de réconcilier nos envies, nos penchants avec ce que nous avons construit, et ce que nous dit notre raison, notre conscience profonde. Sinon, nous courrons le risque de nous détruire, dans une surexcitation et hyper activité pour oublier, et nous persuader que nous sommes enfin heureux...
Au risque de paraitre bizarre, je crois pouvoir dire que mes enfants profitent aussi aujourd'hui de mon côté bi, car nous échangeons sans doute
bcp plus que la moyenne: Ne connaissant que trop mes faiblesses, je ne fais pas dans le mâle dominant qui est dans la maitrise et le jugement absolus de tout, même si j'ai de fortes convictions. Mais ils savent que je suis toujours là, à leur écoute même s'il on n'est pas d'accord, et cela me touche, car ils viennent toujours me voir quand çà ne va pas bien.
Côté sexuel, j'ai aussi bcp plus besoin qu'un autre de trouver ce dont j'ai besoin avec ma femme, sinon je peux être vulnérable à une rencontre fortuite, à un regard profond et chaleureux d'un autre homme... Je lui exprime quand cela me manque, quand elle me manque, et elle l'accueille, ne le balaie pas d'un revers de main, comme certaines femmes de mes amis peuvent le faire, m'ont-ils confié parfois. Elle ne sait que trop comme cela est important pour moi. Mais aussi pour elle comme je lui ai dit souvent, "même quand elle ne le ressens pas"! Et pour répondre au message de Gabrielle qui est bouleversant de sincérité, je dirais que ma femme semble heureuse de ce côté là. Même si cela va sans doute apparaitre à certains très paradoxal, voire incompréhensible, ou même très prétentieux ou déplacé, j'ai envie de dire que je la pense même plus ouverte à l'amour physique aujourd'hui, à cause de mon penchant... et de l'attention qu'elle doit y et me porter.
Donc, oui je suis heureux aujourd'hui, mais oui, j'ai toujours cet attrait en moi envers les hommes, plus ou moins latent, plus ou moins présent, plus ou moins perturbant. Mais je sais aussi que je ne suis pas seul avec cela, que j'ai une famille aimante et que j'aime. Je ne sais quelle sera la suite, mais ce dont je suis certain, c'est que je ne regrette pas la voie que j'ai choisie jusqu'ici, même si pour certains d'entre nous cela doit apparaitre comme un reniement, comme tourner le dos à l'éclate et à ce que je suis fondamentalement. Je ne le crois pas, je ne le ressens pas du tout comme cela.
Et si Pierre doit faire un choix, je ne suis pas certain non plus que ce soit obligatoirement de laisser s'exprimer -enfin- à plus ou moins brève échéance et de manière débridée sa bisexualité. Il a le choix, on a le choix. Et il faut faire ces choix en toute connaissance de cause, en respectant nos convictions profondes, en réunissant à tout prix raison et attirance, afin de ne pas être déchiré, écartelé, et en réalité infiniment malheureux: une sorte de drogué sexuel, pour oublier ce qu'il a détruit. Ne jamais oublier que tomber est une chose, rester à terre en est une autre. Toujours tomber en montant et se relever en quelque sorte.
Et de toute façon cette décision ne doit certainement pas être prise sur un coup de tête ou parce qu'une succession d'aventures serait le seul chemin d'accomplissement pour les hommes comme nous.
Je t'embrasse Pierre et merci Gabrielle. Merci beaucoup.
François.