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Pour en finir avec Oedipe.

Publié : 04 sept. 2008 13:15
par blacksinop
Bonjour à tous.

Il m’a semblé voir passer dans un message, un reliquat de référence au complexe d’Oedipe.
julien1904 a écrit : Mais si je n'avais pas été "au clair" avec moi même jamais je n'aurais eu le courage de répondre en plein amphithéâtre en cours de psycho : "que moi aussi j'ai aimé ma maman quand j'étais petit" à propos du complexe d'oeudipe et en réponse à une questions d'une étudiantes.
Pardonne-moi Julien d’intervenir mais je ne peux résister à la tentation.

En cette période de rentrée scolaire, permettez-moi de vous proposer une relecture toute personnelle de ce mythe fondateur.
Je préfère vous prévenir, c’est un peu long, je n’ai pas su faire court, désolé.

Loin des théories psychanalytiques divergentes à ce propos, j’aimerais décomposer avec l’œil candide du néophyte cette légendaire histoire qui a servi de support à Freud pour théoriser la formation de la personnalité chez l’enfant. (Cette définition est un peu ronflante mais rassurez vous, ça va nettement s’alléger par la suite).

Ce sujet s’adresse à tous mais surtout aux parents plongés dans l’angoisse absolue, qui prient tous les soirs pour que leur enfant fasse bien son complexe d’Œdipe….
« Petit Papa Noël, faites que mon fils fasse bien son complexe d’Œdipe, s’il vous plaît, par pitié….merci,…. signé les parents dans l’angoisse ».
(Attention ceci est du second degré, couleur verte, il y en aura beaucoup dans ce message, âmes sensibles s’abstenir).

En préambule, je tiens à signaler que cette Love Story, réservée à un public averti (accord parental indispensable), est à prendre avec légèreté et humour merci.

Le mythe d’Œdipe : (repris pour l’essentiel dans l’encyclopédie).

« Œdipe, fils de Laïos et de Jocaste, tentera en vain d’échapper à son destin. L’oracle de Delphes ayant prédit qu’il tuerait son père et épouserait sa mère, il fut abandonné à sa naissance par ses parents.
Recueilli et élevé par Polybos, roi de Corinthe, à l’adolescence il apprendra qu’il est un enfant trouvé. Il consultera l’oracle de Delphes qui lui confirmera sa terrible destinée ».


Hé bien oui, Elisabeth. T. ne se trompe jamais !
D’ailleurs, je vous invite, par précaution, à consulter chaque semaine votre horoscope à la fin du programme TV.


« Fuyant Corinthe pour épargner ses parents adoptifs, il croise sur sa route un étranger.
Ignorant que celui-ci est son père biologique, il se querelle avec lui et le tue, tout simplement ».

Comme quoi : Tarantino n’a rien inventé !

« Après avoir liquidé son père, il continue sa route tranquillement jusqu’à la ville de Thèbes.
A l’entrée de Thèbes, il se heurte au Sphinx » (sorte de gros matou pas commode, proche du lion mais un lion qui parle).
« Pour pouvoir entrer dans Thèbes, Œdipe doit résoudre l’énigme du Sphinx sinon il se fera dévorer tout cru ».
Cela fonctionne un peu sur le même principe que le maillon faible mais un poil plus trash !
Les énigmes de Sphinx sont assez compliquées, au moins autant que pour celui qui veut gagner des millions.

« Œdipe, jeune étudiant brillant et plein d’avenir, triomphera cependant du Sphinx en découvrant l’identité de la star mystère qui se cache derrière la photo.
Le sphinx dépité par la réponse du jeune homme, se jette du haut de son rocher et s’écrase mollement au fond du précipice ».


Il vaut mieux le savoir ; SPHINX est très TRES susceptible !!!

« C’est à ce moment là qu’intervient J-L.
JULIEN LEPERS demande à Œdipe :
(Roulements de tambours…..) :
« Œdipe, soit vous décidez d’arrêter le jeu et repartez avec la somme de 3000 euros, ou alors vous tentez une 5ème victoire pour remporter la super cagnotte de la semaine,
à savoir « le royaume de Créon et la main de la belle Jocaste !!! ».
« Alors Œdipe que décidez vous ? » (re-roulements de tambours…)
Et Œdipe un peu trop sûr de sa supériorité intellectuelle et attiré par l’appât du gain répondit : « JE RESTE !!!! » et Julien de surenchérir d’une voix suave : « IL RESTE !!! »


« Œdipe fut couronné et épousa la belle Jocaste (en aparté, personne ne lui a demandé son avis à la belle, mais bon), ignorant au passage qu’il venait de s’unir à sa mère biologique.
De cette union naîtront quatre enfants
(tout de même !), avant que le couple incestueux ne découvre la vérité » (on ne sait pas trop comment ? Sûrement cette garce de Pam Kvendu la mèche !).

Et là, les studios Disney ont tenté l’impossible pour rattraper la bourde de Pam, et renverser la situation de façon à pouvoir terminer sur une Happy End.
Sans succès :
« Œdipe se creva les yeux et Jocaste se pendit. » C’est TROP…..porible !.

Fin de l’histoire.

Je vous passe les détails sur le sort réservé à leurs enfants, les fils Etéocle et Polynice s’entretuèrent, Antigone fut enterrée vivante, quant au devenir d’Ismène la cadette, nul ne sait. Peut être a-t-elle fini internée pour troubles profonds de la personnalité ?

De cette fabuleuse histoire, naquit quelques siècles plus tard, formalisée par Freud, la théorie du fameux « Complexe d’Œdipe » qui provoque de nos jours ce genre de situation :

Attention les évènements qui vont suivre ne sont que pure fiction, toute référence à des faits ou des personnes ayant réellement existés ne serait qu’une pure coïncidence.

Mardi 19h00, quelque part à l’ouest, séance chez le psychanalyste, échanges entre le docteur F et son Patient, Vic, un petit gars sympa.

-Vic : « bonjour Docteur, je viens vous consulter parce que j’aimerais comprendre ce qui a pu déterminer, dans mon enfance, mon évolution affective et sexuelle vers les personnes du même sexe que moi ? ».:roll:
-Docteur F : « hé bien c’est simple mon enfant, vous avez tout bonnement raté votre complexe d’Œdipe ! ».8-)
-Vic : « ha bon, et c’est quoi le complexe d’Œdipe ? ».
-Docteur F : « c’est une sorte d’examen de passage entre 4 et 6 ans, que l’on doit franchir pour pouvoir obtenir son diplôme d’hétéro normalité. Un certificat d’apprentissage de la sexualité si vous préférez ».
-Vic : « mais mes parents m’ont jamais parlé de cet examen ? ».:oops:
-Docteur F : « Ah, oui ! je vois. Humm……et bien renseignez vous et nous en reparlerons lors de notre prochaine séance…. »

Quelques semaines plus tard…..toujours quelque part à l’ouest….

-Vic : « bonjour docteur, je me suis renseigné à propos de cet Œdipe ; vous savez ! »
-Docteur F : « c’est bien mon petit, et alors quelles conclusions en tirez-vous ? ».
-Vic : « donc si je vous ai bien suivi, d’après vous au plus tard vers 6 ans j’aurais du tuer mon père et épouser ma mère pour lui faire quatre enfants ?
Ainsi aurais-je pu devenir un hétérosexuel beau et fort comme dans la pub ? »:shock:
- Docteur F : « en résumé, c’est à peu près ça »
-Vic : « hé bien docteur, j’en arrive à la conclusion que si les parents n’évoquent pas le complexe d’Œdipe à leurs chérubins, c’est peut être pour éviter de les traumatiser avec cette tragique histoire sordide et si vous me permettez une dernière question ? »
-Docteur F : « bien sûr, allez-y »
-Vic : « vous êtes hétérosexuel, docteur ? »
-Docteur F : « en effet oui ».
-Vic : « Enfant vous avez donc souhaité la mort de votre père et eu envie de faire l’amour à votre mère ? »
-Docteur F : « Et bien, il semble que oui »
-Vic : « Désolé Docteur, nous allons nous arrêter là, je ne suis plus très sûr que ce soit moi qui ais besoin d’une thérapie !?!».

Fin de l’épisode.


Je vous livre quelques explications à propos de ce message :

Lorsque j’ai commencé à me poser des questions au sujet « du-pourquoi-du-comment » je suis homo et pas hétéro, je suis tombé sur l’interprétation du mythe d’Œdipe par Freud.
Je dois dire que cette conception de la formation de la personnalité chez l’enfant ne m’a pas beaucoup aidé, voir pas aidé du tout.
Pour moi, c’est vraiment l’anti réponse qui m’a conforté dans l’idée que je n’avais pas fait ce qu’il fallait pour devenir « NORMAL ». (A replacer dans le contexte d’une normalisation des individus par un modèle dominant hétérosexuel).
Le complexe d’Œdipe fait référence à l’enfance, ce qui de mon point de vue, revient à dire : « ben voilà vous avez loupé cette étape cruciale, maintenant c’est inutile de venir vous plaindre…. » ou encore « tous les enfants de 6 six ans font leur complexe d’Œdipe » « c’est quand même pas sorcier bon dieu !, Qu’est-ce que vous avez foutu !? ! ».

Je trouve cette modélisation de la psychologie de l’enfant, radicale et réductrice.
Elle n’apporte ni réponse ni solution.
C’est une fois de plus, une vision hétéro normalisante : les rouges d’un côté et les bleus de l’autre ; d’un côté les bons élèves ceux qui ont bien fait leurs devoirs et de l’autre les indisciplinés.
Comme c’est une interprétation psychanalytique (faite par Freud en plus), elle est donnée comme « paroles d’évangile » et apparaît comme indéboulonnable.

J’aurais peut être souhaité à l’époque, trouver à côté de l’explication du complexe d’Œdipe, une nuance du style « même si vous n’avez pas fait votre complexe d’Œdipe, ce n’est pas bien grave, vous pouvez quand même être heureux, rassurez-vous, non! : vous n’êtes pas névrosé ».

J’en ai terminé avec Œdipe.

Merci à tous ceux qui auront pris du temps pour lire ce message jusqu’au bout.

Publié : 04 sept. 2008 16:25
par julien1904
je me permet de répondre pour nuancer cette interprétation personnelle du complexe de l'oedipe de la théorie de formation de la vie psychique et sexuelle de l'enfant selon didipe.
la théorie qui date du début XXeme est a prendre avec des pincettes et à replacer dans son contexte ! un contexte dans lequel seul freud est le seul à s'interesser à ces questions et ou il deviendra plus tard la bête noire de ses confrere psychanalyste.
en effet, lorsque freud développe la théorie de l'oedipe (mythe tres bien raconté par notre cher ami blacksinop il faut nuancer son interprétation qui n'est pas celle de freud mais celle que bon nombre de personnes ont retenue suite à la lecture hétéronormée qu'en ont fait ses confreres de l'époque.

en effet, qui n'a jamais entendu dire que freud proné un modèle bisexuel selon lequel tout les individus seraient bisexuel ??
et bien pour l'oeudipe il faut le nuancer, si bébé doit aimer maman lorsqu'il est un garçon et avoir des envie de mort pour son papa, et bien l'oedipe n'est pas ça !

en effet, l'enfant au travers de l'oedipe apprend quoi ?

il apprend à faire la différence entre les sexes (associé au complexe de castration) et interriorise la notion d'inceste (tu ne voudras pas faire ou avoir un enfant de ton parent).

l'oedipe à une lecture universelle, sinon comment ferait un enfant élevé seul par un parent, ou dans les couples homo ?
et bien l'oedipe se fait avec deux personnes que l'enfant perçoit pour l'un comme celui qui l'éduque (son parent (qu'il soit de sang ou pas)) et avec une autre personne qui gravite dans l'environnement proche de son parent (l'amant, le partenaire dans le couple, son autre parent, ou une personne proche qu'il voit souvent avec son parent...).

mais voilà, bébé, veut faire ou avoir un enfant de son parent, et tuer cet ennemi potentiel pour garder son parent pour lui seul. et bien voilà pourquoi il peu détester la boulangère qui est gentille avec son papa, ou le meilleur ami de sa maman ou la femme de sa maman, ou le copain de son papa.

attention, l'oedipe est universel, c'est à dire que dans des société où les parents ne sont pas forcément les parents biologique, l'oedipe se réalise de diverses façons, chaque enfant fait un oeudipe de la manière dont il le peut, sinon nous serions tous des pervers sexuels pronant l'inceste !

j'espère que vous avez compris ? sinon n'hésitez pas à me demander, ce sont mes cours de psychologie enfantine ! (révision post rentrée !)

Re: Pour en finir avec Oedipe.

Publié : 04 sept. 2008 20:09
par Nico
blacksinop a écrit : -Docteur F : « c’est une sorte d’examen de passage entre 4 et 6 ans, que l’on doit franchir pour pouvoir obtenir son diplôme d’hétéro normalité.
Si on redouble, y a des annales pour réviser :?:
^^
sinon tu dois etre ravis d'apprendre que selon Freud, Jesus étais homosexuel puisque sur un tableau, enfant, il tendait un doigt!!

Re: Pour en finir avec Oedipe.

Publié : 05 sept. 2008 14:10
par blacksinop
julien1904 a écrit :je me permet de répondre pour nuancer cette interprétation personnelle du complexe de l'oedipe de la théorie de formation de la vie psychique et sexuelle de l'enfant selon didipe.
.....
j'espère que vous avez compris ? sinon n'hésitez pas à me demander, ce sont mes cours de psychologie enfantine ! (révision post rentrée !)
Merci Julien d’apporter un éclairage plus raisonné à ma version des faits.
Ta version du complexe d’Œdipe est claire et acceptable.
Je la valide et te remercie de nuancer mes propos.
Nico a écrit :sinon tu dois etre ravis d'apprendre que selon Freud, Jesus étais homosexuel puisque sur un tableau, enfant, il tendait un doigt!!
Ravi, je ne sais pas ? Je n’avais encore jamais envisagé la vie de Jésus sous cet angle.
Cela ouvre des perspectives de scénarios tout à fait inédites ! :mrgreen:
Je vais y réfléchir…

Publié : 05 sept. 2008 21:23
par Le Mime
blacksinop,

Sachez, avant toute chose, que je suis le premier à soutenir les conséquences dangereuses des hypothèses scientifiques, que ces conséquences aient trait à la question qui nous concerne ou non, d'ailleurs. Je ne suis pas d'avis que le scientifique doive se désintéresser des conséquences de ses comportements et de ses découvertes. De la même façon, je ne suis pas d'avis qu'une théorie scientifique puisse être entièrement détachée des préjugés moraux de son auteur, particulièrement dans le domaine des sciences humaines. L'emploi de la science dans les régimes totalitaires, comme extrême, constitue un cas particulièrement éclairant de cette situation.

Mais il y a une chose qui me paraît aussi si ce n'est plus inquiétante encore que le défaut d'esprit critique dans la production et la réception des théories scientifiques, c'est la vulgarisation outrancière de ces théories, pour les condamner à partir de préjugés et suivant une argumentation qui, si on la met face à un examen serré, dénote de la part de son auteur des connaissances de seconde main, particulièrement dangereuses, lorsqu'il s'agit d'un domaine aussi critique.

Il y a des choses qui demandent de la rigueur. Il ne s'agit pas pour moi de remettre en cause la qualité de votre esprit, ni quoique ce soit qui puisse participer à votre personne. Simplement, j'aimerais que vous preniez conscience de plusieurs choses, en premier lieu desquelles, que vos propos sont particulièrement insultants, pour tout un ensemble de personnes, dont je fais partie, qui, à des degrés divers, porte un intérêt à la psychanalyse, voire en font leur vocation. La légèreté avec laquelle vous traitez les théories freudiennes, dont vous ne semblez avoir une connaissance que partielle et indirecte, pourrait laisser sous-entendre un mépris envers leur bon sens et leur choix de vie.

Mais cela, je ne crois pas que ce soit de votre faute. Peut-être me détromperez vous, mais je crois pouvoir supposer que vous ne connaissez pas Freud par ses écrits mêmes mais par des ouvrages synthétiques, de telle ou telle personne. Or, toute personne souhaitant s'intéresser à la psychanalyse doit d'abord avoir à l'esprit qu'il n'existe pas d'organe officiel de contrôle des publications psychanalytiques : il est possible, à ce titre, de dire tout et son contraire. Il est fréquent d'avoir entre les mains des ouvrages de psychologues, qui n'ont de la psychanalyse que la connaissance acquise aux cours de l'université, connaissance presque dérisoire. La seule façon de démonter ces impostures est la comparaison avec le texte freudien ou, selon les cas, au texte lacanien.

Or, les théories de Freud sont d'une très grande complexité : il n'est pas aisé de s'initier vraiment à la psychanalyse. Cela demande des connaissances par ailleurs, une habitude de la littérature théorique et une grande patience. Cette obscurité des théories freudiennes, mise en rapport avec les conséquences énormes quant à l'appréciation du comportement humain que la vérité de telles théories impliquerait, explique le rejet épidermique auquel est, et a toujours été, en but la psychanalyse. Mais ce rejet n'est pas raisonnable : il relève au mieux du bon sens. Or, il ne s'en suit pas du paradoxe (au sens propre) d'une théorie qu'elle soit infondée.

Bien sûr, vous mettez en avant l'humour et la légèreté de vos propos. Oui mais voilà : votre propos n'est pas isolé, il est conjoint d'autres observations, que l'on peut croiser de ci de là. Et le jugement que vous formulez à l'encontre du complexe d'Oedipe semble des plus sérieux. Jugement fréquent et donc problème qui se pose réellement, quand bien même eussiez-vous pu ne pas l'avoir voulu poser. Si donc vous trouvez le sérieux et la longueur de ma réponse sans rapport avec le style de votre message initial, considérez que je me sers de ce message comme invitation ou comme prétexte à traiter ce problème de fond.

Je me permets donc d'essayer, grâce à ma modeste connaissance des travaux de Freud, soutenue de ma modeste connaissance de la philosophie, de revenir moins sur le cas du complexe d'Oedipe que sur la hâte avec laquelle vous le souhaitez enterrer, hâte dont les fondements, j'espère pouvoir le montrer, sont des plus fragiles. Si je me fais l'avocat de Freud, ce n'est pas pour soutenir aveuglement sa théorie, mais pour essayer d'en présenter une version un peu complète et objective, pour que chacun forme son jugement.

Avant toute chose, et pour régler les éventuels questions de personne, qui sont d'un intérêt très limité car de mauvaise rhétorique, il est bon de rappeler que, avant d'être le fondateur de la psychanalyse, Sigmund Freud eut une carrière d'éminent médecin-psychiatre, d'un talent certain, ayant travaillé avec plusieurs des grands noms de son époque. Que par ailleurs il a eu une connaissance intime des textes philosophiques majeurs de son époque, ainsi que de certains textes mineurs.

Bref. A plusieurs reprises, dans votre message, ainsi que dans celui de julien, apparaît la croyance selon laquelle Freud développerait, au travers de la psychanalyse, une morale sexuelle, que vous appelez hétéro-normalité. Selon vous, Freud prônerait tel ou tel modèle, se servirait de ses conclusions scientifiques pour discréditer l'homosexualité. En réalité, les textes freudiens sont à peu près dépourvus de tout jugement de valeur, dans quelque domaine que ce soit, excepté la Contribution à l'histoire du mouvement psychanalytique, qui se permet accusation et défense, mais qui ne concerne que la cohérence interne de l'école psychanalytique au début du siècle.

Mais peut-être considérez-vous que la psychanalyse, en tant que thérapeutique, ne s'intéresse qu'à la maladie et que, par conséquent, sa tentative d'explication de l'homosexualité range de fait cette orientation sexuelle dans le domaine du pathologique. Ce en quoi vous auriez tort de deux façons. Je reviendrai sur l'une d'elle plus tard. Quant à la première, elle concerne l'activité psychanalytique. En effet, si la psychanalyse a une vocation thérapeutique, elle se pose aussi comme une science explicative du comportement humain, sans chercher pour cela à l'altérer de son intervention (la thérapeutique étant l'altération d'un état pour produire un mieux, sous un certain rapport). En témoigne l'existence de nombreux textes purement explicatifs, comme par exemple Totem et Tabou.

Mais venons en au texte même, à savoir le premier des Trois essais sur la théorie sexuelle, « Les aberrations sexuelles », qui traite en partie de l'homosexualité. Ne criez pas tout de suite au scandale par l'utilisation de ce terme, « aberration ». Il vous faut prendre en compte les réalités historiques et songer qu'il ne s'agit pas d'un jugement moral mais d'une observation par rapport aux manifestations sociales des orientations sexuelles à une époque donnée : l'homosexualité constitue un écart par rapport à la norme, à toute les époques de l'humanité, en dehors de certains cas particuliers de la culture arabe et japonaise et, bien entendu, de la Grèce Antique, encore que dans chacune de ces situations, le comportement homosexuel est strictement codifié.

Bref. Nous sommes donc dans ce première essai. Dans l'introduction de cet essai, Freud distingue deux types d'anormalité de la pulsion sexuelle (libido) : une anormalité quant à l'objet sexuel (« la personne dont émane l'attraction sexuelle ») et le but sexuel (« l'acte auquel pousse la pulsion »). Vous comprenez dès lors que l'homosexualité, comme l'hétérosexualité et la bisexualité, sont examinées sur leur rapport à l'objet sexuel. De ce point de vue, si l'homosexualité constitue une déviance, c'est qu'elle est une déviation de la pulsion sexuelle par rapport à son but habituel.

(Il faut ici, je m'en excuse d'ailleurs, faire une petite parenthèse quant à la question de ce but habituel. En effet, il ne s'agit pas seulement d'une question relative aux réalités sociales de l'époque, mais également d'un point de vue proprement psychanalytique. Freud étend la définition de la sexualité, pour y faire entrer tous les comportements de la première enfance, qui n'ont pour but qu'un plaisir. Or, ce plaisir est nécessairement corporel, étant donné le dénuement matériel du nourrisson. Par exemple, l'acte de téter, lorsqu'il n'est pas gouverné par la faim mais par le seul plaisir de téter la mamelle maternelle, est un acte sexuel.

Or, Freud distingue dans l'évolution de l'enfant plusieurs stades de la vie sexuelle. Le premier de ces stades, comme je viens de le dire, est le stade oral. Il s'en suit le stade sado-annal, caractérisé par une fascination pour les déjections, la même que celle du jeune Gargantua dans le célèbre chapitre du torche-cul chez Rabelais, et par une cruauté, la plupart du temps envers les animaux. Vous remarquez que ces phases de la sexualité ne mettent en oeuvre ni le pénis, ni le vagin, du moins pas de façon fondamentale.

Ce n'est qu'avec la découverte de la masturbation, autour de sept-huit ans, que la sexualité se subordonne à la fonction génitale pour se résumer finalement à elle. Le plaisir sexuel est dès lors commandé par l'excitation des organes génitaux, par exemple du gland ou de la glande prostatique. Or, la fonction biologique des organes génitaux est la procréation qui, nous vous en déplaise, à l'état de nature, est une activité exclusivement hétérosexuelle.

Pour résumer, parce que la pulsion sexuelle est, à l'âge adulte, génitale et que les organes génitaux, étant destinés naturellement à la procréation, ont une fonction d'abord hétérosexuelle, d'un point de vue biologique, l'objet sexuel habituel d'une pulsion sexuelle est le sexe opposé, qui permet la réalisation de cette procréation.)

Cette déviation de la pulsion sexuelle est en fait une inversion de l'objet sexuel habituel : le remplacement d'un objet sexuel du même sexe que le sexe de la personne en proie à la pulsion, alors que l'objet habituel est une personne du sexe opposé. C'est pourquoi, dans le vocabulaire de la psychanalyse, cette orientation est appelée une inversion. Le terme a connu un succès ultérieur qui dépasse le cadre de la psychanalyse, au point de devenir péjoratif : telle n'était pas sa destination originelle.

Freud distingue trois types d'invertis : les invertis absolus, les invertis amphigènes (ou hermaphrodites psychosexuels) et les invertis occasionnels. En d'autres termes : les personnes exclusivement homosexuelles, les bisexuels, les personnes ayant occasionnellement des pulsions homosexuelles. Il évoque ensuite les différences entre les invertis. D'abord, le fait que certains considèrent leur état comme morbide (c'est-à-dire maladif) et que d'autres l'acceptent très bien. Ensuite, le fait que certains affirment n'avoir jamais connu que cette pulsion sexuelle, tandis que chez d'autres elle est passagère (juvénile ou au contraire tardive), oscillante ou qu'elle suit un événement traumatisant par rapport à l'objet sexuel du sexe opposé.

Il intervient, à propos des invertis considérant l'inversion comme un état morbide, une note de Freud qui pourrait ouvrir la voie de la critique que vous cherchez. Je vous la restitue en son entier :

« Cette révolte contre la compulsion à l'inversion pourrait fournir les conditions permettant d'exercer une influence au moyen du traitement suggestif ou de la psychanalyse. »
Sigmund Freud, Trois Essais sur la théorie sexuelle, « I : Les aberrations sexuelles », 1. Déviations par rapport à l'objet sexuel, A. L'inversion, Comportement des invertis

Il faut noter deux choses. D'abord, que la possibilité de l'intervention psychanalytique pour modifier l'objet de la pulsion sexuelle n'est envisagée qu'en termes techniques. Autrement dit, ce n'est pas une nécessité thérapeutique que met en avant Freud, mais une puissance de la psychanalyse à réaliser cela. D'autre part, envisagée d'un point de vue thérapeutique, il est possible que le traitement songe à résoudre le mal-être de l'individu par rapport à l'objet de sa pulsion sexuelle plutôt qu'à résoudre un problème proprement pulsionnel.

Toujours est-il que, à la suite de cette taxinomie, Freud va essayer de proposer des interprétations. Il commence par rejeter celle en vigueur à son époque, qui fait de l'inversion le résultat d'une dégénérescence innée des fonctions nerveuses du sujet, en notant qu'il ne peut s'agir d'une dégénérescence, puisque l'inverti n'est pas, par son inversion, diminué dans ses « capacités d'efficience et d'existence ». Alors intervient une note qu'il est également important de restituer dans son intégralité.

« Dans l'interprétation de l'inversion, les points de vue pathologiques ont été remplacés par les points de vue anthropologiques. Le mérite de ce changement revient à I. Bloch (1902-1903), qui a également mis vigoureusement en relief le phénomène de l'inversion dans les civilisations antiques. »
Sigmund Freud, Trois Essais sur la théorie sexuelle, « Les Aberrations sexuelles », 1. Déviations par rapport à l'objet sexuel, A. L'inversion, Interprétation de l'inversion, Dégénérescence

Il est donc écrit en toutes lettres, dans le texte freudien, que l'inversion n'est pas une pathologie.

Après avoir examiné ce critère de la dégénérescence, Freud passe à la question plus complexe de l'innéité. Les arguments en faveur de l'inné concurrencent ceux en faveur de l'acquis. D'une part, il semble, après recherche psychanalytique, « qu'on peut mettre en évidence chez de nombreux invertis (même absolus) une impression sexuelle [non un complexe] intervenant précocement dans leur existence, dont le penchant homosexuel représente la conséquence permanente ». D'autre part, la suggestion hypnotique aurait permis de modifier l'inversion au profit d'une orientation conforme à la norme de la pulsion sexuelle, ce qui contredit l'innéité de l'orientation de la pulsion. Mais, d'un autre côté, il apparaît que des enfants soumis aux mêmes conditions sociales ne développent pas la même orientation sexuelle, ce qui démolit l'hypothèse de l'acquisition. L'examen de la question de l'innéité débouche sur une aporie, de laquelle Freud conclut que le critère inné-acquis ne constitue pas une alternative suffisante pour expliquer l'inversion.

Il faut donc faire appel à une théorie parmi celles existantes, que l'on pourrait qualifier de théorie générique (la théorie de la bisexualité), c'est-à-dire une théorie qui s'appuie sur la distinction entre l'homme et la femme. Mais Freud écarte presque aussitôt cette théorie, en soulignant que la généricité d'un individu n'est pas un critère universel, d'abord sur le plan anatomique (cas des hermaphrodites physiques) et ensuite sur le plan psychologique. Pour simplifier, il constate que l'inverti n'est pas forcément féminin, ni l'homme féminin inverti. C'est-à-dire que l'inverti n'est pas une femme dans un corps d'homme qui désire un homme.

A partir de ce point, Freud se sert des particularités historiques des codifications sociales de l'homosexualité, par exemple en Grèce Antique, qui mettent en évidence une recherche des caractères féminins chez l'homme courtisé par l'inverti. La chose est en effet exact dans la relation pédérastique grecque, considérée comme honteuse lorsque l'aimé développe des signes trop évidents de virilité : apparition de la pilosité ou indépendance de caractère.

C'est alors qu'apparaît la note qui fournit la réponse aux objections que vous souleviez dans les termes les plus directes. Je cite.

« La psychanalyse n'a certes pas fourni jusqu'à présent une explication satisfaisante de l'origine de l'inversion, mais elle a découvert le mécanisme psychique de sa genèse et enrichi considérablement les données du problème. Nous avons établi ans tous les cas examinés que les futurs invertis traversent, au cours des premières années de leur enfance, une phase de fixation très intense et cependant éphémère à la femme (le plus souvent à la mère) et qu'après avoir surmonté cette phase, ils s'identifient à la femme et se prennent eux-mêmes comme objets sexuels, autrement dit que, parant du narcissisme, ils recherchent de jeunes hommes semblables à leur propre personne, qu'ils veulent aimer comme leur mère les a aimés eux-mêmes. Nous en avons en outre remarqué très souvent que de prétendus invertis n'étaient nullement insensibles aux attraits de la femme, mais qu'ils reportaient constamment sur un objet masculin l'excitation produite par la femme. Ils répétaient ainsi toute leur vie durant le mécanisme qui avait fait naître leur inversion. Leur aspiration compulsive pour l'homme était déterminé par leur fuite sans trêve devant la femme.
La recherche psychanalytique s'oppose avec la plus grande détermination à la tentative de séparer les homosexuels des autres êtres humains en tant que groupe particularisé. En étudiant d'autres excitations sexuelles encore que celles qui se révèlent de façon manifeste, elle apprend que tous les hommes sont capables d'un choix d'objet homosexuel, et qu'ils ont effectivement fait ce choix dans l'inconscient. De fait, les liaisons de sentiments libidinaux à des personnes du même sexe ne jouaient pas un moindre rôle, en tant que facteurs intervenant dans la vie psychique normale, que celles qui s'adressent au sexe opposé, et, en tant que moteurs de la maladie [névrotique], elles en jouent un plus grand. Bien plutôt, c'est l'indépendance du choix d'objet vis-à-vis du sexe de l'objet, la liberté de disposer indifféremment d'objets masculins ou féminins – telle qu'on l'observe dans l'enfance, dans des états primitifs et à des époques reculées de l'histoire -, que la psychanalyse considère comme la base originelle à partir de laquelle se développent, à la suite d'une restriction dans un sens ou dans l'autre, le type normal aussi bien que le type inversé. Du point de vue de la psychanalyse, par conséquent, l'intérêt sexuel exclusif de l'homme pour la femme est aussi un problème qui requiert une explication et non pas quelque chose qui va de soi et qu'il y aurait lieu d'attribuer à une attraction chimique en son fondement. La décision du comportement sexuel final ne tombe qu'après la puberté; elle est le résultat d'une série encore impossible à cerner de facteurs dont certains sont de nature constitutionnelle, d'autres cependant de nature accidentelle. Assurément, certains d'entre eux sont susceptibles de prendre une importance si considérable qu'ils influencent le résultat dans leur sens. Mais, en général, la multiplicité des facteurs déterminants est reflétée par la diversité des conséquences sur le comportement sexuel manifeste de l'être humain. Dans le cas des types inversés, on constate en permanence la prédominance de constitutions archaïques et de mécanismes psychiques primitifs. La valeur accordée au choix d'objet narcissique et le maintien de la signification érotique de la zone anale paraissent en constituer les caractères les plus essentiels. On ne gagne rien, cependant, à séparer, sur le fond, de telles particularités constitutionnelles, les types d'inversion les plus extrêmes des autres. Ce qui semble fonder de manière satisfaisante l'explication de ces types peut aussi bien être mis en évidence, quoique à un moindre degré, dans la constitution de types intermédiaires et chez des individus manifestement normaux. Les différences au niveau des résultats peuvent bien être de nature qualitative ; l'analyse montre qu'au niveau des conditions elles ne sont que quantitatives. Parmi les facteurs accidentels qui influencent le choix d'objet, nous avons trouvé que la frustration (l'intimidation sexuelle précoce) était digne d'intérêt et nous avons également noté que la présence des deux parents jouait un rôle important. Il n'est pas rare que l'absence d'un père fort dans l'enfance favorise l'inversion. Enfin, on peut exiger que l'inversion de l'objet sexuel soit strictement séparée, sur le plan conceptuel, du mélange des caractères sexuels dans le sujet. On ne saurait là encore dénier aux deux pôles de cette relation un certain degré d'indépendance.»
Sigmund Freud, idem, Objet sexuel des invertis

Publié : 06 sept. 2008 11:23
par julien1904
le mime,
même moi qui est des bases légère de la théorie freudienne et de son parcourt avec charcot et les autres grands renom, je n'ai pas tout compris, alors pour la personne sans aucunes connaissance et même des appriori la lecture de ton discours est à mon sens trop complexe (comme la théorie freudienne pour une personne lambda)
peut etre pourrais tu simplifier la chose (si c'est "simplifiable" ) pour que tout le monde puisse l'aborder sans penser que c'est une langue étrangère !

Publié : 06 sept. 2008 12:21
par Steph
Le mime,

Tu as tout à fait raison sur le fond.
Ayant lu des livres et ayant été à l'université moi aussi ;) , je rajouterai même que Freud a été aussi un excellent chercheur en médecine avant de s'intéresser aux phénomènes psychiques ;) .
Ceci étant, le message de blacksinop dénonce (avec humour) un vrai problème que tu évoques toi même : les théories de Freud ont beaucoup été déformées.
Je pense qu'il est difficile comprendre les théories freudiennes simplement en lisant les ouvrages de Freud car elles sont effectivement très complexes et méritent des explications, voire souvent des illustrations.
Si on prend précisément l'exemple du complexe d'oedipe, il s'agit d'un phénomène inconscient. L'individu n'a pas donc pas lieu de se culpabiliser ou de se réjouir.

Une psychanalyste lacanienne, qui enseignait à l'université, m'avait invité un jour à une conférence organisée par une école de pensée lacanienne.
J'y suis allé pour voir et le conférencier expliquait ce soir là que pour bien comprendre certains aspects des théories lacaniennes, il fallait intégrer des notions complexes en mathématiques.
Etant nul dans ce domaine, j'ai renoncé définitivement.


Tout ça pour dire que l'étude de certaines théories peut exiger de nombreuses années et / ou d'avoir acquis préalablement d'autres connaissances.

Cela n'interdit pas pour autant de faire de l'humour, d'autant que la déformation des théories psychanalytiques a fait du mal à beaucoup de gens (beaucoup de parents notamment et pas seulement des parents de LGBT).

Publié : 06 sept. 2008 12:35
par Steph
julien1904 a écrit :le mime,
même moi qui est des bases légère de la théorie freudienne et de son parcourt avec charcot et les autres grands renom, je n'ai pas tout compris, alors pour la personne sans aucunes connaissance et même des appriori la lecture de ton discours est à mon sens trop complexe (comme la théorie freudienne pour une personne lambda)
peut etre pourrais tu simplifier la chose (si c'est "simplifiable" ) pour que tout le monde puisse l'aborder sans penser que c'est une langue étrangère !
Le mime,

Je suis tout à fait d'accord avec Julien. A partir du moment où tu te risques à donner des explications sérieuses, ce serait bien qu'un maximum de personnes puissent comprendre, notamment cette partie là :
Bref. Nous sommes donc dans ce première essai. Dans l'introduction de cet essai, Freud distingue deux types d'anormalité de la pulsion sexuelle (libido) : une anormalité quant à l'objet sexuel (« la personne dont émane l'attraction sexuelle ») et le but sexuel (« l'acte auquel pousse la pulsion »). Vous comprenez dès lors que l'homosexualité, comme l'hétérosexualité et la bisexualité, sont examinées sur leur rapport à l'objet sexuel. De ce point de vue, si l'homosexualité constitue une déviance, c'est qu'elle est une déviation de la pulsion sexuelle par rapport à son but habituel.

(Il faut ici, je m'en excuse d'ailleurs, faire une petite parenthèse quant à la question de ce but habituel. En effet, il ne s'agit pas seulement d'une question relative aux réalités sociales de l'époque, mais également d'un point de vue proprement psychanalytique. Freud étend la définition de la sexualité, pour y faire entrer tous les comportements de la première enfance, qui n'ont pour but qu'un plaisir. Or, ce plaisir est nécessairement corporel, étant donné le dénuement matériel du nourrisson. Par exemple, l'acte de téter, lorsqu'il n'est pas gouverné par la faim mais par le seul plaisir de téter la mamelle maternelle, est un acte sexuel.

Or, Freud distingue dans l'évolution de l'enfant plusieurs stades de la vie sexuelle. Le premier de ces stades, comme je viens de le dire, est le stade oral. Il s'en suit le stade sado-annal, caractérisé par une fascination pour les déjections, la même que celle du jeune Gargantua dans le célèbre chapitre du torche-cul chez Rabelais, et par une cruauté, la plupart du temps envers les animaux. Vous remarquez que ces phases de la sexualité ne mettent en oeuvre ni le pénis, ni le vagin, du moins pas de façon fondamentale.

Ce n'est qu'avec la découverte de la masturbation, autour de sept-huit ans, que la sexualité se subordonne à la fonction génitale pour se résumer finalement à elle. Le plaisir sexuel est dès lors commandé par l'excitation des organes génitaux, par exemple du gland ou de la glande prostatique. Or, la fonction biologique des organes génitaux est la procréation qui, nous vous en déplaise, à l'état de nature, est une activité exclusivement hétérosexuelle.

Pour résumer, parce que la pulsion sexuelle est, à l'âge adulte, génitale et que les organes génitaux, étant destinés naturellement à la procréation, ont une fonction d'abord hétérosexuelle, d'un point de vue biologique, l'objet sexuel habituel d'une pulsion sexuelle est le sexe opposé, qui permet la réalisation de cette procréation.)

Cette déviation de la pulsion sexuelle est en fait une inversion de l'objet sexuel habituel : le remplacement d'un objet sexuel du même sexe que le sexe de la personne en proie à la pulsion, alors que l'objet habituel est une personne du sexe opposé. C'est pourquoi, dans le vocabulaire de la psychanalyse, cette orientation est appelée une inversion. Le terme a connu un succès ultérieur qui dépasse le cadre de la psychanalyse, au point de devenir péjoratif : telle n'était pas sa destination originelle.

Freud distingue trois types d'invertis : les invertis absolus, les invertis amphigènes (ou hermaphrodites psychosexuels) et les invertis occasionnels. En d'autres termes : les personnes exclusivement homosexuelles, les bisexuels, les personnes ayant occasionnellement des pulsions homosexuelles. Il évoque ensuite les différences entre les invertis. D'abord, le fait que certains considèrent leur état comme morbide (c'est-à-dire maladif) et que d'autres l'acceptent très bien. Ensuite, le fait que certains affirment n'avoir jamais connu que cette pulsion sexuelle, tandis que chez d'autres elle est passagère (juvénile ou au contraire tardive), oscillante ou qu'elle suit un événement traumatisant par rapport à l'objet sexuel du sexe opposé.

Il intervient, à propos des invertis considérant l'inversion comme un état morbide, une note de Freud qui pourrait ouvrir la voie de la critique que vous cherchez. Je vous la restitue en son entier :

« Cette révolte contre la compulsion à l'inversion pourrait fournir les conditions permettant d'exercer une influence au moyen du traitement suggestif ou de la psychanalyse. »
Sigmund Freud, Trois Essais sur la théorie sexuelle, « I : Les aberrations sexuelles », 1. Déviations par rapport à l'objet sexuel, A. L'inversion, Comportement des invertis

Il faut noter deux choses. D'abord, que la possibilité de l'intervention psychanalytique pour modifier l'objet de la pulsion sexuelle n'est envisagée qu'en termes techniques. Autrement dit, ce n'est pas une nécessité thérapeutique que met en avant Freud, mais une puissance de la psychanalyse à réaliser cela. D'autre part, envisagée d'un point de vue thérapeutique, il est possible que le traitement songe à résoudre le mal-être de l'individu par rapport à l'objet de sa pulsion sexuelle plutôt qu'à résoudre un problème proprement pulsionnel.

Toujours est-il que, à la suite de cette taxinomie, Freud va essayer de proposer des interprétations. Il commence par rejeter celle en vigueur à son époque, qui fait de l'inversion le résultat d'une dégénérescence innée des fonctions nerveuses du sujet, en notant qu'il ne peut s'agir d'une dégénérescence, puisque l'inverti n'est pas, par son inversion, diminué dans ses « capacités d'efficience et d'existence ». Alors intervient une note qu'il est également important de restituer dans son intégralité.

« Dans l'interprétation de l'inversion, les points de vue pathologiques ont été remplacés par les points de vue anthropologiques. Le mérite de ce changement revient à I. Bloch (1902-1903), qui a également mis vigoureusement en relief le phénomène de l'inversion dans les civilisations antiques. »
Sigmund Freud, Trois Essais sur la théorie sexuelle, « Les Aberrations sexuelles », 1. Déviations par rapport à l'objet sexuel, A. L'inversion, Interprétation de l'inversion, Dégénérescence

Il est donc écrit en toutes lettres, dans le texte freudien, que l'inversion n'est pas une pathologie.

Après avoir examiné ce critère de la dégénérescence, Freud passe à la question plus complexe de l'innéité. Les arguments en faveur de l'inné concurrencent ceux en faveur de l'acquis. D'une part, il semble, après recherche psychanalytique, « qu'on peut mettre en évidence chez de nombreux invertis (même absolus) une impression sexuelle [non un complexe] intervenant précocement dans leur existence, dont le penchant homosexuel représente la conséquence permanente ». D'autre part, la suggestion hypnotique aurait permis de modifier l'inversion au profit d'une orientation conforme à la norme de la pulsion sexuelle, ce qui contredit l'innéité de l'orientation de la pulsion. Mais, d'un autre côté, il apparaît que des enfants soumis aux mêmes conditions sociales ne développent pas la même orientation sexuelle, ce qui démolit l'hypothèse de l'acquisition. L'examen de la question de l'innéité débouche sur une aporie, de laquelle Freud conclut que le critère inné-acquis ne constitue pas une alternative suffisante pour expliquer l'inversion.

Il faut donc faire appel à une théorie parmi celles existantes, que l'on pourrait qualifier de théorie générique (la théorie de la bisexualité), c'est-à-dire une théorie qui s'appuie sur la distinction entre l'homme et la femme. Mais Freud écarte presque aussitôt cette théorie, en soulignant que la généricité d'un individu n'est pas un critère universel, d'abord sur le plan anatomique (cas des hermaphrodites physiques) et ensuite sur le plan psychologique. Pour simplifier, il constate que l'inverti n'est pas forcément féminin, ni l'homme féminin inverti. C'est-à-dire que l'inverti n'est pas une femme dans un corps d'homme qui désire un homme.

A partir de ce point, Freud se sert des particularités historiques des codifications sociales de l'homosexualité, par exemple en Grèce Antique, qui mettent en évidence une recherche des caractères féminins chez l'homme courtisé par l'inverti. La chose est en effet exact dans la relation pédérastique grecque, considérée comme honteuse lorsque l'aimé développe des signes trop évidents de virilité : apparition de la pilosité ou indépendance de caractère.

C'est alors qu'apparaît la note qui fournit la réponse aux objections que vous souleviez dans les termes les plus directes. Je cite.

« La psychanalyse n'a certes pas fourni jusqu'à présent une explication satisfaisante de l'origine de l'inversion, mais elle a découvert le mécanisme psychique de sa genèse et enrichi considérablement les données du problème. Nous avons établi ans tous les cas examinés que les futurs invertis traversent, au cours des premières années de leur enfance, une phase de fixation très intense et cependant éphémère à la femme (le plus souvent à la mère) et qu'après avoir surmonté cette phase, ils s'identifient à la femme et se prennent eux-mêmes comme objets sexuels, autrement dit que, parant du narcissisme, ils recherchent de jeunes hommes semblables à leur propre personne, qu'ils veulent aimer comme leur mère les a aimés eux-mêmes. Nous en avons en outre remarqué très souvent que de prétendus invertis n'étaient nullement insensibles aux attraits de la femme, mais qu'ils reportaient constamment sur un objet masculin l'excitation produite par la femme. Ils répétaient ainsi toute leur vie durant le mécanisme qui avait fait naître leur inversion. Leur aspiration compulsive pour l'homme était déterminé par leur fuite sans trêve devant la femme.
La recherche psychanalytique s'oppose avec la plus grande détermination à la tentative de séparer les homosexuels des autres êtres humains en tant que groupe particularisé. En étudiant d'autres excitations sexuelles encore que celles qui se révèlent de façon manifeste, elle apprend que tous les hommes sont capables d'un choix d'objet homosexuel, et qu'ils ont effectivement fait ce choix dans l'inconscient. De fait, les liaisons de sentiments libidinaux à des personnes du même sexe ne jouaient pas un moindre rôle, en tant que facteurs intervenant dans la vie psychique normale, que celles qui s'adressent au sexe opposé, et, en tant que moteurs de la maladie [névrotique], elles en jouent un plus grand. Bien plutôt, c'est l'indépendance du choix d'objet vis-à-vis du sexe de l'objet, la liberté de disposer indifféremment d'objets masculins ou féminins – telle qu'on l'observe dans l'enfance, dans des états primitifs et à des époques reculées de l'histoire -, que la psychanalyse considère comme la base originelle à partir de laquelle se développent, à la suite d'une restriction dans un sens ou dans l'autre, le type normal aussi bien que le type inversé. Du point de vue de la psychanalyse, par conséquent, l'intérêt sexuel exclusif de l'homme pour la femme est aussi un problème qui requiert une explication et non pas quelque chose qui va de soi et qu'il y aurait lieu d'attribuer à une attraction chimique en son fondement. La décision du comportement sexuel final ne tombe qu'après la puberté; elle est le résultat d'une série encore impossible à cerner de facteurs dont certains sont de nature constitutionnelle, d'autres cependant de nature accidentelle. Assurément, certains d'entre eux sont susceptibles de prendre une importance si considérable qu'ils influencent le résultat dans leur sens. Mais, en général, la multiplicité des facteurs déterminants est reflétée par la diversité des conséquences sur le comportement sexuel manifeste de l'être humain. Dans le cas des types inversés, on constate en permanence la prédominance de constitutions archaïques et de mécanismes psychiques primitifs. La valeur accordée au choix d'objet narcissique et le maintien de la signification érotique de la zone anale paraissent en constituer les caractères les plus essentiels. On ne gagne rien, cependant, à séparer, sur le fond, de telles particularités constitutionnelles, les types d'inversion les plus extrêmes des autres. Ce qui semble fonder de manière satisfaisante l'explication de ces types peut aussi bien être mis en évidence, quoique à un moindre degré, dans la constitution de types intermédiaires et chez des individus manifestement normaux. Les différences au niveau des résultats peuvent bien être de nature qualitative ; l'analyse montre qu'au niveau des conditions elles ne sont que quantitatives. Parmi les facteurs accidentels qui influencent le choix d'objet, nous avons trouvé que la frustration (l'intimidation sexuelle précoce) était digne d'intérêt et nous avons également noté que la présence des deux parents jouait un rôle important. Il n'est pas rare que l'absence d'un père fort dans l'enfance favorise l'inversion. Enfin, on peut exiger que l'inversion de l'objet sexuel soit strictement séparée, sur le plan conceptuel, du mélange des caractères sexuels dans le sujet. On ne saurait là encore dénier aux deux pôles de cette relation un certain degré d'indépendance.»
Sigmund Freud, idem, Objet sexuel des invertis
Personnellement, j'ai vraiment trop la flemme ;) Je compte donc sur toi ;).

Publié : 06 sept. 2008 18:57
par blacksinop
Rebonjour Le Mime,

Je dois dire que ton texte est très intéressant. (même si tu préjuges un peu vite de la faible capacité qu’auraient tes interlocuteurs à s’intéresser de façon sérieuse à un sujet, c'est comme ça que je l'ai ressenti mais je peux me tromper, cela m'arrive souvent).

Je m’incline devant ton savoir, sache que j’ai pris le temps de lire ton exposé jusqu’au bout et je reviens d’ailleurs vers toi pour que tu m’éclaires sur deux passages que j’avoue ne pas avoir compris.
Le Mime a écrit : La chose est en effet exact dans la relation pédérastique grecque, considérée comme honteuse lorsque l'aimé développe des signes trop évidents de virilité : apparition de la pilosité ou indépendance de caractère.
Pourrais-tu préciser ce que tu entends par indépendance de caractère ?
Le Mime a écrit : "De fait, les liaisons de sentiments libidinaux à des personnes du même sexe ne jouaient pas un moindre rôle, en tant que facteurs intervenant dans la vie psychique normale, que celles qui s'adressent au sexe opposé, et, en tant que moteurs de la maladie [névrotique], elles en jouent un plus grand."
Sigmund Freud, idem, Objet sexuel des invertis
Pourrais-tu déchiffrer de manière plus simple ce passage du texte de Freud, s’il te plait ?

Merci par avance

Publié : 06 sept. 2008 20:40
par Le Mime
steph,

Tu pourras me trouver lacanien de la première heure (mais peut-être pas de la seconde) : je reste convaincu que la compréhension de la psychanalyse peut (voire doit) passer uniquement, dans un premier temps, par la lecture du corpus freudien, quand bien même cette lecture serait compliquée. Les théories scientifiques et philosophiques ne sont jamais d'un accès simple : elles réclament de la réflexion. Qu'elles ne soient pas claires dès le premier abord n'a donc rien de très surprenant.

blacksinop

Comme je le disais, plus ou moins, je ne préjuge pas de l'intérêt que mes interlocuteurs peuvent porter à la question. Seulement, c'est une question importante et complexe. Trop complexe pour être exposée avec toute la simplicité que vous pourriez, les uns et les autres, souhaiter. La longueur et l'obscurité ponctuelle de mon propos sont des conséquences nécessaires des difficultés de la théorie freudienne. Toujours est-il qu'il me semble qu'un message ou deux sur le forum ne coûtent pas grand'chose, et que donc il se pourrait trouver quelqu'un que cela intéressera.

Ceci étant dit, je vais tenter de répondre à tes deux questions.

L'indépendance : point de rupture de la relation pédérastique

Pour la première, ce n'est pas très compliqué, puisqu'il s'agit d'un point d'histoire de la Grèce Antique : ma période historique de prédilection. Plus particulièrement, il est question ici des codes qui régissent la relation pédérastique. La relation pédérastique engage deux personnes : l'éraste, qui est l'homme adulte, et l'éromène, qui es l'adolescent. L'éraste courtise l'éromène à l'occasion des activités publiques de ce dernier (en particulier au gymnase).

La relation pédérastique n'implique pas nécessairement une relation sexuelle. En théorie, l'éraste fait l'éducation de l'éromène et ce dernier, en échange, peut prodiguer des faveurs sexuelles à l'éraste. C'est ce que l'on appelle une « sexualité initiatique ». L'homosexualité masculine en Grèce Antique n'est socialement tolérée que dans les strictes limites de cette relation. Lorsque l'éromène cesse d'être un adolescent (à partir de son éphébie, c'est-à-dire plus ou moins de son service militaire), il ne peut plus être l'objet de l'amour de l'éraste. Mais, de la même façon, il peut être assez mal vu qu'un homme adulte ne nourrisse pas d'amour à l'endroit d'un éromène.

On trouve donc, par différentes sources (peintures sur vases, textes, gravures), que l'éromène présente en fait des caractères que certains ont qualifié de féminin : absence de pilosité (certains érastes gardaient leurs éromènes au-delà de la puberté en les forçant à s'épiler, ce qui était considéré comme honteux) et soumission aux conseils et aux avis de l'éromène. L'éraste est dépendant de son éromène.

Ce que je désignais par indépendance de caractère, c'est donc ce moment de rupture auquel l'éraste cesse d'être sous l'autorité de l'éromène et devient lui-même un homme adulte.

Pour un éclairage philosophique sur la relation pédérastique, je ne saurais trop conseiller Le Banquet de Platon.

Les liaisons libidinales et leur influence sur la vie psychique

Cette simple question mériterait de longs développements, sur des centaines de pages, ce qui dépasse de beaucoup mes compétences. Cependant, je crois pouvoir expliquer l'essentiel de la note de Freud qui fait l'objet de ta question. Pour cela, on peut identifier, sans trop mentir, la libido à la pulsion sexuelle. La liaison libidinale, c'est donc l'union de cette pulsion sexuelle à un objet sexuel.

On remarque donc tout de suite une chose, c'est que la pulsion sexuelle n'est pas gouvernée par l'objet sexuel : elle s'attache à cet objet. La pulsion sexuelle précède l'objet sexuel particulier : lorsqu'un objet sexuel particulier se présente, c'est une pulsion sexuelle préexistante qui se trouve liée à lui. En d'autres termes, je désire, en général, avant de désirer telle personne, en particulier. Lorsque je désire une personne, ce n'est pas que mon désir est né de cette personne, mais c'est que cette personne a correspondu à mon désir.

Lorsque Freud dit que « les liaisons de sentiments libidinaux à des personnes du même sexe [ne jouent pas] un moindre rôle [...] dans la vie psychique normale que celles qui s'adressent au sexe opposé », il dit que les pulsions sexuelles susceptibles de se lier à un objet sexuel du même sexe que la personne qu'elles possèdent ne sont pas en minorités (ni dans la vie psychique d'un sujet particulier, dans la société en général) par rapport aux pulsions sexuelles susceptibles de se lier à un objet sexuel du sexe opposé à celui de la personne qu'elles possèdent.

Il faut comprendre cela à une double échelle : celle d'un individu quelconque pris en particulier, d'abord, puis celle de la société dans son ensemble.

Pour ce qui est de l'individu, et c'est ce qui semblera peut-être le plus difficile à accepter, Freud affirme que les désirs homosexuels ne sont pas nécessairement moins nombreux que les désirs hétérosexuels, et inversement. En d'autres termes, il est tout à fait possible, voire fréquent (si ce n'est systématique), qu'un individu ouvertement hétérosexuel nourrisse des désirs homosexuels (cachés ou non), de même qu'un individu ouvertement homosexuel nourrisse des désirs hétérosexuels (cachés ou non). C'est pourquoi il dit que : « du point de vue de la psychanalyse, par conséquent, l'intérêt sexuel exclusif de l'homme pour la femme est aussi un problème qui requiert une explication et non pas quelque chose qui va de soi et qu'il y aurait lieu d'attribuer à une attraction chimique en son fondement. » En d'autres termes, qu'un individu puisse être entièrement hétérosexuel et qu'un individu puisse être entièrement homosexuel, ce sont deux situations aussi étranges et douteuses, aux yeux de la psychanalyse, l'une que l'autre.

Je crois que, comme ça, on serait tenté d'admettre plus facilement qu'un hétérosexuel puisse avoir des désirs homosexuels que le cas inverse. Ce qu'il faut comprendre, c'est que ces désirs ne sont pas nécessairement conscients, quoiqu'ils puissent l'être, bien entendu. Mais s'ils sont mal acceptés par la conscience, pour qu'ils ne dérangent pas la vie psychique, elle les refoule (elle les rejette) dans l'inconscient. Le refoulement est une opération gouvernée par le surmoi.

En gros, l'esprit est gouverné par trois tendances : le moi (conscient et préconscient), le surmoi (conscient et inconscient) et le ça (entièrement inconscient). Le moi, c'est ce que nous avons conscience d'être tous les jours. Le ça, c'est, en gros, notre être pulsionnel. Et le surmoi, c'est, en quelque sorte, le moi parfait et pur que nous voudrions être, débarrassés de toutes les pulsions que nous estimons malhonnêtes.

Or, le surmoi n'est pas uniquement gouverné par les règles de morale sociale que nous avons intériorisées. Il est aussi composé de nos ambitions. Admettons alors un individu A, qui a accepté son homosexualité et qui l'assume : il n'en a pas honte, il combat l'homophobie, il se sent très à l'aise avec ses pulsions sexuels homosexuelles (ou homoérotiques). Le moi idéal, pour lui, sera donc un moi uniquement en proie à ce type de pulsions, puisque c'est ce qu'il estime l'être. C'est dans cette situation, par exemple, qu'une pulsion hétérosexuelle peut être refoulée par un moi s'estimant homosexuel : l'apparition de cette pulsion hétérosexuelle à la conscience entraînerait une remise en doute des certitudes acquises par le moi sur le moi et donc mettrait en péril la vie psychique.

Bref, si j'en reviens à la note qu'il s'agit d'expliquer, pour Freud, toutes confondues (refoulées ou non), chez individu, il n'y aura jamais une absence de l'une ou l'autre des orientations de la pulsion sexuelle, mais une plus ou moins grande proportion des unes ou des autres et, surtout, une plus ou moins grande proportion (allant jusqu'à l'exclusion de l'une ou de l'autre) des unes ou des autres refoulées.

La deuxième échelle, c'est celle de la société, comme je le disais. Selon Freud, les homosexuels ne peuvent être exclus en aucune façon de la société dans la mesure où, en considérant ce que je viens d'expliquer, à peu près chaque membre de la société est susceptible de pulsions homosexuelles, si bien que la société est bisexuelle. Les homosexuels ne constituent pas une minorité. Les hétérosexuels non plus. En fait, toute tentative de numération serait vaine et sans intérêt, étant donné que la distinction même entre homosexualité et hétérosexualité n'est pas opératoire pour distinguer les individus : elle ne l'est que pour distinguer les pulsions au sein d'un individu.

Et encore : comme je l'ai laissé entendre plus haut concernant la relation pédérastique, la pulsion sexuelle peut exiger que son objet présente un certain hermaphrodisme, ou bien une certaine androgénie, de sorte qu'il est impossible de distinguer les pulsions entre homosexuelles et hétérosexuelles, par rapport à leur objet : elles sont plutôt à dominante hétérosexuelle ou à dominante homosexuelle.

Voilà pour l'explication de la première partie de la phrase. Qu'en est-il maintenant de cette histoire de maladie ? Bien sûr, il ne s'agit pas d'une maladie somatique mais bien d'une maladie psychique, c'est-à-dire d'une névrose. Vous vous doutez bien qu'il est difficile de donner une définition de la névrose en psychanalyse : disons que la névrose est morbide parce qu'elle altère les capacités du sujet à mener une vie normale. Les causes de la névrose sont, par ailleurs, inconscientes. Le travail de la psychanalyse est d'explorer l'inconscient pour débusquer ces causes.

Est-ce que cela veut dire que tout ce qui est dans l'inconscient suscite une névrose ? Oui et non. Il faut d'abord faire une distinction simple entre l'inconscient philosophique et l'inconscient psychique.

L'inconscient philosophique c'est, traditionnellement, dans l'histoire des idées, tout ce qui n'est pas conscient. Mais les éléments de l'inconscient philosophique peuvent n'être inconscients que de façon tout à fait temporaire : un souvenir oublié qui ressurgit, une question à laquelle on ne pense pas parce qu'elle n'est pas nécessaire. Lorsque je me promène dans la rue, je ne pense pas qu'il ne faut pas mettre d'inox au micro-onde : ce n'est pas pour cela que, lorsque j'utiliserai mon micro-onde, je ne songerai pas à retirer la fourchette de l'assiette que je réchauffe.

L'inconscient psychique, lui, communique bien moins avec la conscience. En effet, lorsque Freud parle de l'inconscient, il s'intéresse surtout aux choses que la conscience refuse : qu'elle refoule (pulsions) et qu'elle oublie (souvenirs, particulièrement de la première enfance). Cet inconscient là est donc rejetée par la conscience, parce qu'il pose problème. Tout élément contenu dans cet inconscient est un problème et peut potentiellement générer une névrose.

Mais en fait, en pratique, c'est-à-dire dans une application thérapeutique, il faut faire une distinction entre la névrose pathologique et la névrose bénigne. A l'issue de cette distinction, ce n'est finalement que la névrose pathologique que l'on appellera névrose. Par exemple, mettons que je ne supporte pas les hommes avec des ongles un peu longs. Il s'agit jusque là d'une névrose bénigne. Si je ne les supporte pas au point de m'évanouir lorsque j'en vois un ou bien de l'agresser, il s'agit d'une névrose pathologique, à laquelle la thérapie psychanalytique se propose d'apporter une solution.

Bon. Donc la névrose vient de pulsions refoulées dans l'inconscient. J'ai dit par ailleurs qu'un individu pouvait refouler ses pulsions hétérosexuelles, homosexuelles, voire les deux pulsions (dans le cas d'un individu asexuel). J'ai dit également que les règles sociales faisaient pression pour pénétrer dans le surmoi et être adaptées par lui. Or, de toute évidence, la société contemporaine, et depuis des siècles, fait pression contre les pulsions homosexuelles, de sorte qu'un individu est bien plus souvent amené à refouler ses pulsions homosexuelles que ses pulsions hétérosexuelles.

A l'échelle d'une société, il arrive donc beaucoup plus souvent que les pulsions homosexuelles soient refoulées. Si l'on prend donc un individu moyen (qui représente la moyenne, individu purement hypothétique donc) de cette société, il y aura dans son inconscient plus de pulsions homosexuelles refoulées que de pulsions hétérosexuelles refoulées. Ce sont donc surtout les pulsions homosexuelles qui vont jouer un rôle dans l'apparition des névroses (de « la maladie » dont il est question dans la note de Freud).

Voilà qui, je crois, contribue un peu à éclairer l'obscurité de la note. Vous aurez peut-être vu qu'il s'en suit que la lutte contre l'homophobie n'a pas seulement un intérêt moral dans la société, mais également un intérêt médical. L'homophobie érigée en règle éthique pour la direction de la vie, c'est-à-dire la condamnation de l'homosexualité, contribue en partie à la formation de certaines névroses pathologiques.

Publié : 07 sept. 2008 06:45
par blacksinop
Je te remercie pour cette mise en lumière d’un sujet fort complexe.

Une autre chose à laquelle je pense et pour laquelle je n’ai pas de réponse.
Même si je me doute que la théorie freudienne comporte une double entrée, ne serait-il pas intéressant d’avoir un point de vue féminin à ce propos ?
Dans tes précédents messages, tu as fait référence à la relation pédérastique engageant un homme adulte et un adolescent ; dans le même temps, le complexe d’Œdipe semble avoir été rédigé à l’attention d’un public masculin, n’existe-t-il pas de psychanalystes femmes qui se soient penchées sur le sujet ?
Si tu as des éléments de réponse, je suis preneur.

Publié : 07 sept. 2008 09:51
par julien1904
le complexe d'oedipe est universel et pour les deux sexes !
peut etre et je pense que Dolto ou Mélanie Klein ont du se pencher sur la question de l'oedipe au féminin !

Publié : 07 sept. 2008 10:01
par julien1904
Le Mime a écrit :steph,

Tu pourras me trouver lacanien de la première heure (mais peut-être pas de la seconde) : je reste convaincu que la compréhension de la psychanalyse peut (voire doit) passer uniquement, dans un premier temps, par la lecture du corpus freudien, quand bien même cette lecture serait compliquée. Les théories scientifiques et philosophiques ne sont jamais d'un accès simple : elles réclament de la réflexion. Qu'elles ne soient pas claires dès le premier abord n'a donc rien de très surprenant.

blacksinop

Comme je le disais, plus ou moins, je ne préjuge pas de l'intérêt que mes interlocuteurs peuvent porter à la question. Seulement, c'est une question importante et complexe. Trop complexe pour être exposée avec toute la simplicité que vous pourriez, les uns et les autres, souhaiter. La longueur et l'obscurité ponctuelle de mon propos sont des conséquences nécessaires des difficultés de la théorie freudienne. Toujours est-il qu'il me semble qu'un message ou deux sur le forum ne coûtent pas grand'chose, et que donc il se pourrait trouver quelqu'un que cela intéressera.

Ceci étant dit, je vais tenter de répondre à tes deux questions.

L'indépendance : point de rupture de la relation pédérastique

Pour la première, ce n'est pas très compliqué, puisqu'il s'agit d'un point d'histoire de la Grèce Antique : ma période historique de prédilection. Plus particulièrement, il est question ici des codes qui régissent la relation pédérastique. La relation pédérastique engage deux personnes : l'éraste, qui est l'homme adulte, et l'éromène, qui es l'adolescent. L'éraste courtise l'éromène à l'occasion des activités publiques de ce dernier (en particulier au gymnase).

La relation pédérastique n'implique pas nécessairement une relation sexuelle. En théorie, l'éraste fait l'éducation de l'éromène et ce dernier, en échange, peut prodiguer des faveurs sexuelles à l'éraste. C'est ce que l'on appelle une « sexualité initiatique ». L'homosexualité masculine en Grèce Antique n'est socialement tolérée que dans les strictes limites de cette relation. Lorsque l'éromène cesse d'être un adolescent (à partir de son éphébie, c'est-à-dire plus ou moins de son service militaire), il ne peut plus être l'objet de l'amour de l'éraste. Mais, de la même façon, il peut être assez mal vu qu'un homme adulte ne nourrisse pas d'amour à l'endroit d'un éromène.

On trouve donc, par différentes sources (peintures sur vases, textes, gravures), que l'éromène présente en fait des caractères que certains ont qualifié de féminin : absence de pilosité (certains érastes gardaient leurs éromènes au-delà de la puberté en les forçant à s'épiler, ce qui était considéré comme honteux) et soumission aux conseils et aux avis de l'éromène. L'éraste est dépendant de son éromène.

Ce que je désignais par indépendance de caractère, c'est donc ce moment de rupture auquel l'éraste cesse d'être sous l'autorité de l'éromène et devient lui-même un homme adulte.

Pour un éclairage philosophique sur la relation pédérastique, je ne saurais trop conseiller Le Banquet de Platon.

Les liaisons libidinales et leur influence sur la vie psychique

Cette simple question mériterait de longs développements, sur des centaines de pages, ce qui dépasse de beaucoup mes compétences. Cependant, je crois pouvoir expliquer l'essentiel de la note de Freud qui fait l'objet de ta question. Pour cela, on peut identifier, sans trop mentir, la libido à la pulsion sexuelle. La liaison libidinale, c'est donc l'union de cette pulsion sexuelle à un objet sexuel.

On remarque donc tout de suite une chose, c'est que la pulsion sexuelle n'est pas gouvernée par l'objet sexuel : elle s'attache à cet objet. La pulsion sexuelle précède l'objet sexuel particulier : lorsqu'un objet sexuel particulier se présente, c'est une pulsion sexuelle préexistante qui se trouve liée à lui. En d'autres termes, je désire, en général, avant de désirer telle personne, en particulier. Lorsque je désire une personne, ce n'est pas que mon désir est né de cette personne, mais c'est que cette personne a correspondu à mon désir.

Lorsque Freud dit que « les liaisons de sentiments libidinaux à des personnes du même sexe [ne jouent pas] un moindre rôle [...] dans la vie psychique normale que celles qui s'adressent au sexe opposé », il dit que les pulsions sexuelles susceptibles de se lier à un objet sexuel du même sexe que la personne qu'elles possèdent ne sont pas en minorités (ni dans la vie psychique d'un sujet particulier, dans la société en général) par rapport aux pulsions sexuelles susceptibles de se lier à un objet sexuel du sexe opposé à celui de la personne qu'elles possèdent.

Il faut comprendre cela à une double échelle : celle d'un individu quelconque pris en particulier, d'abord, puis celle de la société dans son ensemble.

Pour ce qui est de l'individu, et c'est ce qui semblera peut-être le plus difficile à accepter, Freud affirme que les désirs homosexuels ne sont pas nécessairement moins nombreux que les désirs hétérosexuels, et inversement. En d'autres termes, il est tout à fait possible, voire fréquent (si ce n'est systématique), qu'un individu ouvertement hétérosexuel nourrisse des désirs homosexuels (cachés ou non), de même qu'un individu ouvertement homosexuel nourrisse des désirs hétérosexuels (cachés ou non). C'est pourquoi il dit que : « du point de vue de la psychanalyse, par conséquent, l'intérêt sexuel exclusif de l'homme pour la femme est aussi un problème qui requiert une explication et non pas quelque chose qui va de soi et qu'il y aurait lieu d'attribuer à une attraction chimique en son fondement. » En d'autres termes, qu'un individu puisse être entièrement hétérosexuel et qu'un individu puisse être entièrement homosexuel, ce sont deux situations aussi étranges et douteuses, aux yeux de la psychanalyse, l'une que l'autre.

Je crois que, comme ça, on serait tenté d'admettre plus facilement qu'un hétérosexuel puisse avoir des désirs homosexuels que le cas inverse. Ce qu'il faut comprendre, c'est que ces désirs ne sont pas nécessairement conscients, quoiqu'ils puissent l'être, bien entendu. Mais s'ils sont mal acceptés par la conscience, pour qu'ils ne dérangent pas la vie psychique, elle les refoule (elle les rejette) dans l'inconscient. Le refoulement est une opération gouvernée par le surmoi.

En gros, l'esprit est gouverné par trois tendances : le moi (conscient et préconscient), le surmoi (conscient et inconscient) et le ça (entièrement inconscient). Le moi, c'est ce que nous avons conscience d'être tous les jours. Le ça, c'est, en gros, notre être pulsionnel. Et le surmoi, c'est, en quelque sorte, le moi parfait et pur que nous voudrions être, débarrassés de toutes les pulsions que nous estimons malhonnêtes.

Or, le surmoi n'est pas uniquement gouverné par les règles de morale sociale que nous avons intériorisées. Il est aussi composé de nos ambitions. Admettons alors un individu A, qui a accepté son homosexualité et qui l'assume : il n'en a pas honte, il combat l'homophobie, il se sent très à l'aise avec ses pulsions sexuels homosexuelles (ou homoérotiques). Le moi idéal, pour lui, sera donc un moi uniquement en proie à ce type de pulsions, puisque c'est ce qu'il estime l'être. C'est dans cette situation, par exemple, qu'une pulsion hétérosexuelle peut être refoulée par un moi s'estimant homosexuel : l'apparition de cette pulsion hétérosexuelle à la conscience entraînerait une remise en doute des certitudes acquises par le moi sur le moi et donc mettrait en péril la vie psychique.

Bref, si j'en reviens à la note qu'il s'agit d'expliquer, pour Freud, toutes confondues (refoulées ou non), chez individu, il n'y aura jamais une absence de l'une ou l'autre des orientations de la pulsion sexuelle, mais une plus ou moins grande proportion des unes ou des autres et, surtout, une plus ou moins grande proportion (allant jusqu'à l'exclusion de l'une ou de l'autre) des unes ou des autres refoulées.

La deuxième échelle, c'est celle de la société, comme je le disais. Selon Freud, les homosexuels ne peuvent être exclus en aucune façon de la société dans la mesure où, en considérant ce que je viens d'expliquer, à peu près chaque membre de la société est susceptible de pulsions homosexuelles, si bien que la société est bisexuelle. Les homosexuels ne constituent pas une minorité. Les hétérosexuels non plus. En fait, toute tentative de numération serait vaine et sans intérêt, étant donné que la distinction même entre homosexualité et hétérosexualité n'est pas opératoire pour distinguer les individus : elle ne l'est que pour distinguer les pulsions au sein d'un individu.

Et encore : comme je l'ai laissé entendre plus haut concernant la relation pédérastique, la pulsion sexuelle peut exiger que son objet présente un certain hermaphrodisme, ou bien une certaine androgénie, de sorte qu'il est impossible de distinguer les pulsions entre homosexuelles et hétérosexuelles, par rapport à leur objet : elles sont plutôt à dominante hétérosexuelle ou à dominante homosexuelle.

Voilà pour l'explication de la première partie de la phrase. Qu'en est-il maintenant de cette histoire de maladie ? Bien sûr, il ne s'agit pas d'une maladie somatique mais bien d'une maladie psychique, c'est-à-dire d'une névrose. Vous vous doutez bien qu'il est difficile de donner une définition de la névrose en psychanalyse : disons que la névrose est morbide parce qu'elle altère les capacités du sujet à mener une vie normale. Les causes de la névrose sont, par ailleurs, inconscientes. Le travail de la psychanalyse est d'explorer l'inconscient pour débusquer ces causes.

Est-ce que cela veut dire que tout ce qui est dans l'inconscient suscite une névrose ? Oui et non. Il faut d'abord faire une distinction simple entre l'inconscient philosophique et l'inconscient psychique.

L'inconscient philosophique c'est, traditionnellement, dans l'histoire des idées, tout ce qui n'est pas conscient. Mais les éléments de l'inconscient philosophique peuvent n'être inconscients que de façon tout à fait temporaire : un souvenir oublié qui ressurgit, une question à laquelle on ne pense pas parce qu'elle n'est pas nécessaire. Lorsque je me promène dans la rue, je ne pense pas qu'il ne faut pas mettre d'inox au micro-onde : ce n'est pas pour cela que, lorsque j'utiliserai mon micro-onde, je ne songerai pas à retirer la fourchette de l'assiette que je réchauffe.

L'inconscient psychique, lui, communique bien moins avec la conscience. En effet, lorsque Freud parle de l'inconscient, il s'intéresse surtout aux choses que la conscience refuse : qu'elle refoule (pulsions) et qu'elle oublie (souvenirs, particulièrement de la première enfance). Cet inconscient là est donc rejetée par la conscience, parce qu'il pose problème. Tout élément contenu dans cet inconscient est un problème et peut potentiellement générer une névrose.

Mais en fait, en pratique, c'est-à-dire dans une application thérapeutique, il faut faire une distinction entre la névrose pathologique et la névrose bénigne. A l'issue de cette distinction, ce n'est finalement que la névrose pathologique que l'on appellera névrose. Par exemple, mettons que je ne supporte pas les hommes avec des ongles un peu longs. Il s'agit jusque là d'une névrose bénigne. Si je ne les supporte pas au point de m'évanouir lorsque j'en vois un ou bien de l'agresser, il s'agit d'une névrose pathologique, à laquelle la thérapie psychanalytique se propose d'apporter une solution.

Bon. Donc la névrose vient de pulsions refoulées dans l'inconscient. J'ai dit par ailleurs qu'un individu pouvait refouler ses pulsions hétérosexuelles, homosexuelles, voire les deux pulsions (dans le cas d'un individu asexuel). J'ai dit également que les règles sociales faisaient pression pour pénétrer dans le surmoi et être adaptées par lui. Or, de toute évidence, la société contemporaine, et depuis des siècles, fait pression contre les pulsions homosexuelles, de sorte qu'un individu est bien plus souvent amené à refouler ses pulsions homosexuelles que ses pulsions hétérosexuelles.

A l'échelle d'une société, il arrive donc beaucoup plus souvent que les pulsions homosexuelles soient refoulées. Si l'on prend donc un individu moyen (qui représente la moyenne, individu purement hypothétique donc) de cette société, il y aura dans son inconscient plus de pulsions homosexuelles refoulées que de pulsions hétérosexuelles refoulées. Ce sont donc surtout les pulsions homosexuelles qui vont jouer un rôle dans l'apparition des névroses (de « la maladie » dont il est question dans la note de Freud).

Voilà qui, je crois, contribue un peu à éclairer l'obscurité de la note. Vous aurez peut-être vu qu'il s'en suit que la lutte contre l'homophobie n'a pas seulement un intérêt moral dans la société, mais également un intérêt médical. L'homophobie érigée en règle éthique pour la direction de la vie, c'est-à-dire la condamnation de l'homosexualité, contribue en partie à la formation de certaines névroses pathologiques.
décidément j'abandonne toute tentative de compréhension de ce sujet qui m'interessait mais qui devient trop et qui est trop théorique. sommes nous sur un forum de psychanalyste où seul les inititié peuvent comprendre?

je pense qu'il faudrai revenir au thème de départ, non pour en finir avec les clichés, l'oedipe n'est pas la conséquence de l'homosexualité ou de l'hétérosexualité, de la bi sexualité ou encore moins de la transexualité de l'enfant.
l'oedipe c'est un passage obligatoire pour interrioriser certains interdit (tu ne tueras point ton parent et tu n'épousera pas et n'aura pas de désir d'enfant de ton autre parent!) voilà

rassurez vous cher parents, si votre enfant gaçon aime son papa et vous déteste ou si votre fille vous aime et déteste votre mari ou votre compagne ou votre meilleu(e) ami(e), c'est tout à fait normal et ce ne seras pas le point déterminant de la définition de son orientation sexuelle et sentimentale !
et la question qui me vient, pourquoi devrions nous tous être hétéro? je vis très bien mon homosexualité !

Publié : 07 sept. 2008 10:39
par blacksinop
julien1904 a écrit :décidément j'abandonne toute tentative de compréhension de ce sujet qui m'interessait mais qui devient trop et qui est trop théorique. sommes nous sur un forum de psychanalyste où seul les inititié peuvent comprendre?

je pense qu'il faudrai revenir au thème de départ....
oh t'énerves pas Juju, désolé de te mettre en rogne (un dimanche matin en plus!).

Peut être que tu peux mettre un lien dans ce sujet pour renvoyer vers ton sujet à toi "REFLEXION COLLECTIVE"? je ne sais pas si ça se fait?

Publié : 07 sept. 2008 10:53
par Le Mime
Julien,

Je comprends votre agacement. Mais pour le comprendre, je ne l'estime pas légitime. Le complexe d'Oedipe est une question psychanalytique. Vous êtes nombreux à vous plaindre de la mauvaise utilisation que l'on a pu en faire, des difficultés que cela pose dans l'évaluation psychologique d'une situation donnée, et avec raison. Pourtant, un comportement qui tenterait d'écarter la théorie psychanalytique de la compréhension du complexe d'Oedipe est tout aussi dangereux qu'une mauvaise utilisation de ces théories.

Il est impossible de comprendre les mécanismes du complexe d'Oedipe et l'interprétation de l'homosexualité par Freud sans le soutien des écrits freudiens et de la théorie psychanalytique, à plus forte raison que cette théorie tend presque systématiquement à l'élaboration de solutions thérapeutiques et que, donc, elle débouche sur une pratique (médicale). Poser la question du complexe d'Oedipe en dehors du cadre de la psychanalyse conduirait à s'en tenir à des généralités qui, à terme, joueront nécessairement en notre défaveur.

Par ailleurs, en dehors du complexe d'Oedipe, une association de lutte contre l'homophobie ne peut faire l'économie de s'intéresser à la psychanalyse, je ne dis pas d'un point de vue intellectuel, dans une perspective purement désintéressé, mais bien parce que la psychanalyse, de Freud au travers de Lacan, joue un rôle prépondérant dans la pensée psychologique contemporaine, en France notamment.

La psychanalyse et ses dérives constituent un fait social important de notre époque. Une connaissance de la psychanalyse est donc nécessaire pour débusquer les erreurs de cette nouvelle vague de « psychologues-pyschanalystes » dont la principale ambition est la publication de bouquins de psychologie d'opérette, faciles à comprendre, sans aucune densité, et truffés de dangereuses erreurs.

Est-ce à dire que seuls les initiés peuvent suivre une discussion autour du complexe d'Oedipe ? C'est une évidence. De la même façon que seuls les initiés peuvent suivre une discussion sur le cinéma, la littérature, la philosophie, la cuisine ou le bricolage. Si vous n'avez jamais entendu parler des outils nécessaires pour résoudre un problème de plomberie, si vous n'avez absolument aucune idée de la forme de ces derniers, ni même aucune notion du mécanisme d'écoulement des eaux dans une maison, comment voulez-vous comprendre une discussion qui essayera de déterminer la meilleure marche à suivre en cas d'occlusion des canalisations ? C'est impossible.

Je suis parfaitement conscient que nous vivons dans une époque où l'information doit être claire et compréhensible par tous, sans aucune exigence de connaissances préalables, sans qu'aucune réflexion soit nécessaire. C'est ce type d'informations et ce type d'informations qui convient au média de presque monopole qu'est devenue la télévision. Cependant, ce type d'informations est incomplet et dangereux.

Oui, la psychanalyse est compliquée. La psychologie humaine est compliquée. Voilà qui est rassurant. On ne peut pas résoudre l'angoisse d'un parent simplement en lui disant que son comportement n'a aucune influence sur son enfant. D'abord, c'est faux. Ensuite, cela n'apporte rien. Des explications existent, qui sont complexes, mais dont la complexité n'est que le reflet de la complexité réelle de l'esprit humain, particulièrement depuis que cet esprit a été étendu au-delà des limites de la conscience.

Si vous trouvez les pans de la théorie psychanalytique que j'expose ici complexes, c'est parfaitement normal. Mais dans ce cas, je vous engage non point à vous exclure de la discussion en partant du principe que vous n'y comprenez rien, mais à poser des questions, comme blacksinop, sur les points qui vous paraissent obscurs, en vous armant si besoin d'un dictionnaire. C'est compliqué, cela prend du temps, sans doute. Il est fort compréhensible que vous ayez mieux à faire : ce qui l'est moins, c'est que vous puissiez nier la nécessité de telles explications dans le sujet qui nous occupe.

Mais je crois que cela tient à de vôtres préjugés, comme quoi la psychanalyse condamnerait fermement l'homosexualité. J'ai dit à plusieurs reprises que ce n'était pas du tout le cas. Pourtant, vous continuez à affirmer dans votre message que vous vivez très bien votre homosexualité. Chose qui n'est pas inconcevable pour la psychanalyse, et qui est reconnu en toutes lettres par Freud. Je vous invite à relire avec un peu de patience mon message précédent, et vous verrez que la position de Frued sur le sujet est éminemment progressiste.

Je me permets de recopier d'ailleurs les passages clefs :

« Pour ce qui est de l'individu, et c'est ce qui semblera peut-être le plus difficile à accepter, Freud affirme que les désirs homosexuels ne sont pas nécessairement moins nombreux que les désirs hétérosexuels, et inversement. En d'autres termes, il est tout à fait possible, voire fréquent (si ce n'est systématique), qu'un individu ouvertement hétérosexuel nourrisse des désirs homosexuels (cachés ou non), de même qu'un individu ouvertement homosexuel nourrisse des désirs hétérosexuels (cachés ou non). C'est pourquoi il dit que : « du point de vue de la psychanalyse, par conséquent, l'intérêt sexuel exclusif de l'homme pour la femme est aussi un problème qui requiert une explication et non pas quelque chose qui va de soi et qu'il y aurait lieu d'attribuer à une attraction chimique en son fondement. » En d'autres termes, qu'un individu puisse être entièrement hétérosexuel et qu'un individu puisse être entièrement homosexuel, ce sont deux situations aussi étranges et douteuses, aux yeux de la psychanalyse, l'une que l'autre. »

« La deuxième échelle, c'est celle de la société, comme je le disais. Selon Freud, les homosexuels ne peuvent être exclus en aucune façon de la société dans la mesure où, en considérant ce que je viens d'expliquer, à peu près chaque membre de la société est susceptible de pulsions homosexuelles, si bien que la société est bisexuelle. Les homosexuels ne constituent pas une minorité. Les hétérosexuels non plus. En fait, toute tentative de numération serait vaine et sans intérêt, étant donné que la distinction même entre homosexualité et hétérosexualité n'est pas opératoire pour distinguer les individus : elle ne l'est que pour distinguer les pulsions au sein d'un individu. »


Croyez bien que je conçois assez clairement quelles peuvent être vos réticences à l'endroit de la psychanalyse en général et du complexe d'Oedipe en particulier. La psychanalyse ne dispose d'aucun organe officiel susceptible de vérifier la compétence de ceux qui s'en réclament. Elle est scindée en plusieurs écoles. C'est un champ complexe et miné. A ce titre, il est bon, je dirais même nécessaire, de demeurer méfiant envers toute personne qui proposerait une thérapie psychanalytique entièrement efficace.

Si donc vous songez à consulter un psychanalyste, songez qu'il existe des collectifs, des associations de psychanalyse, plus ou moins connues. Prenez le soin de vous renseigner sur la personne que vous pensez consulter auprès de ces associations.

Enfin, je vais pour une fois faire part d'un avis qui m'est très personnel. Je ne crois pas qu'il soit actuellement possible de produire des thérapies psychanalytiques viables. Il me semble que l'histoire du mouvement psychanalytique est trop marquée de confusions et d'hésitations, en l'état actuel des choses, pour que l'utilisation de la psychanalyse à des fins thérapeutiques dans des cas graves puisse ne pas être considérée comme irresponsable. La thérapie psychanalytique peut avoir des conséquences terribles : il faut l'employer avec précaution.

Telle est également la raison pour laquelle je donne de si amples explications, parfois complexes, sur le sujet qui nous occupe. Loin de chercher une obscurité pédante, j'entends donner à mes interlocuteurs les passages susceptibles d'éclairer le problème en question. Mais si tout cela reste théorique, c'est qu'il me semble impossible de dépasser cette stricte théorie, en dehors du cas d'école. En d'autres termes, s'il me semble possible d'interpréter des comportements, voire des névroses, en termes psychanalytiques, il m'apparaît beaucoup plus difficile d'en donner une solution thérapeutique.

S'agissant du complexe d'Oedipe en particulier, je reste sceptique quant à l'universalité culturelle de ce concept. Si je ne doute pas que, chez l'immense majorité des individus de nos sociétés actuelles, le mode de solution du complexe d'Oedipe joue un rôle prépondérant dans l'avenir de la vie psychique, je m'interroge sur le cas d'autres sociétés. Il me semble en effet que, chez l'individu, l'apparition du complexe d'Oedipe dépend en grande partie des normes sociales et, plus particulièrement, du modèle familial en vigueur : celui de la famille nucléaire. Or, nous arrivons à une époque où ce modèle familiale se détériore lentement, et peut-être un jour ne constituera-t-il plus la norme statistique des modèles familiaux dans la société. Alors, je ne suis pas certain que le complexe d'Oedipe puisse apparaître.

Si je dévide un peu plus avant la pelote de mes réflexions, il s'en suit qu'il peut advenir que le mode de solution de ce complexe soit tout à fait original, dans un cas non hypothétique et bien actuel d'un enfant qui évoluerait dans un modèle familial différent du modèle familial traditionnel, si tant est que cet enfant soit par ailleurs coupé de la plupart des représentations du modèle traditionnel, et donc de la conscience de la prépondérance statistique de ce modèle traditionnel dans la société dans laquelle il évolue.

En d'autres termes, si un enfant évolue dans un environnement particulier, et que, en outre, il ne fréquente que peu d'amis ou de connaissances vivant selon la norme sociale, qu'il ne regarde pas énormément les fictions télévisées qui suivent ce même modèle, il est fort possible à mes yeux que le complexe d'Oedipe ne se résolve, pour la bonne et simple raison qu'il n'apparaîtra pas.

Si donc je devais vraiment adhérer à une forme d'universalité du complexe d'Oedipe, ce ne serait éventuellement que dans le cadre d'une approche civilisatrice, identique à celle développée par Freud dans Totem et Tabou. C'est-à-dire qu'il ne s'agirait pas d'un complexe individuel mais d'un complexe social, né de la fondation de la société par le meurtre du père (dans la horde primitive), voire du frère aîné (Caïn et Abel, Romulus et Remus). Mais à ce point, la psychanalyse doit rendre temporairement les armes pour céder la place à l'ethnographie.